
100 km de Millau, c’est le voyage qui compte. Pas la destination.
N’importe quel “cent-bornard” vous le dira, le coeur frissonne à l’évocation simple de ce nom : « Millau ». Chaque année depuis 1972, ce petit village aveyronnais rassemble en effet une armée de coureurs un peu fêlés et prêts à s’infliger 100 km de bitume. Oui oui de bitume. Grâce à la ténacité du shop de Millau, nous comptons désormais cette course dans notre portefeuille d’événements partenaires, tout comme le Festival des Templiers, un autre mythe Français. Notre ami et collègue « Kay-Kayte » l’a couru 4 fois déjà (il n’a que 30 ans le bougre !) : 2011 (19h22), 2014 (13h45), 2017 (15h45) et 2019 (13h55). Il avait donc 22 ans quand il l’a terminé la première fois. C’est assez rare. Il est donc bien placé pour nous en parler. Retour sur le plus grand mythe du 100 bornes au monde.
Cette course qui ne comptait que 68 coureurs pour sa première édition contre 2000 en moyenne est désormais un monument de la course en France. C’est grâce au travail de Serge Cottereau, ancien quadruple vainqueur, de Bernard Vidal, malheureusement décédé peu avant la 39ème édition en 2010 et de Patrick Gineste, l’actuel co-organisateur actuel avec Jacques Brefuel. Nous y étions donc encore cette année et nous avons pu échanger avec ceux qui ont fait rentrer cette course « dans une autre dimension ». Millau a clairement quelque chose de spécial. Perdu au milieu des gorges du Tarn, cet endroit a une aura de bien-être et de bonne humeur, de calme et de fraternité. C’est ce qui frappe en premier lorsque l’on débarque à Millau : on s’y sent tout simplement bien. Les locaux vous accueillent toujours avec le sourire, ce qui n’est pas négligeable la veille d’un 100 km sur route réputé difficile. La première fois de notre journaliste spécialisé remonte à 2011. Il était tombé sur le site de la course au hasard d’une recherche Web à 2h du matin. Les articles et vidéos l’avaient vraiment pris à la gorge, comme il dit. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire « Millau » il s’était jeté sur la page d’inscription, du haut de ses 22 balais, sans trop savoir où allait.
Voici le CV de la bête
– 100 km à parcourir intégralement sur bitume
– 4 côtes de 8 à 10 % longues de plusieurs kilomètres et à faire deux fois chacune après le marathon
– Une chaleur de bête maudite la plupart du temps…ou des pluies diluviennes. C’est selon. Et pas de juste milieu. Jamais ! Ça serait trop simple…
– Il y a aussi un marathon qui rassemble en moyenne 400 participants. Le départ est commun à 10h depuis l’avenue Jean-Jaurès. Il ne faut donc pas se laisser emporter par le rythme bien plus soutenu de certains car pour eux, c’est direction la douche une fois de retour à Millau !
Autre plaisir : les ravitos !
Les ravitaillements sont en effet toujours extrêmement bien garnis : fromage, pain, chips, bonbons, chocolat, coca, eau gazeuse et j’en passe. Rien de spectaculaire mais du bon, du solide et surtout une présence tous les 5 kilomètres avec leurs contingent de bénévoles aux petits soins pour vous. C’est aussi cela qui fait le succès de cette course unique en son genre : tous ces gens que vous croisez dans les villages et tous ces bénévoles qui sont là pour la plupart depuis des années. Cela participe donc à la belle ambiance, c’est une vraie fête de village, en permanence.
L’histoire de la course et de Serge Cottereau la tête brûlée
Serge Cottereau : « J’avais lu dans Spiridon, une revue Suisse de course à pied sortie en 1972, une des première au monde, qu’il y avait un 100 km organisé à Bienne en Suisse. J’avais 34 ans et courais surtout le 400 m, un peu de cross aussi. J’étais en réalité un peu saturé de tout ça, j’avais envie d’autre chose. J’ai vu ce 100km là-bas, en Suisse, j’y suis allé et c’était un vrai choc des cultures : 2500 partants de tous niveaux, un règlement clairement moins rigoureux que dans l’athlétisme classique. Du coup, j’ai eu l’idée d’organiser une course comme ça dans ma région, en France. J’en ai parlé à quelques personnes du club d’athlé Millau. Ils ont pour la plupart trouvé cela farfelu mais quelques unes ont dit « ok pourquoi pas ? ». Voilà, c’est comme ça qu’on a commencé ».
180 partants en 1973 , 530 en 1974, 800 en 1975 !
Tout part de là : un article de journal, un voyage en Suisse et quelques passionnés assez dingos pour se lancer dans le projet. Serge connaissait un notaire, Bernard Vidal, qui l’a aidé à faire les démarches administratives mais le premier hic est arrivé très vite quand ils n’ont pas obtenu l’accord de la Fédération Française d’Athlétisme : « On a reçu un courrier de la Fédé qui nous disait qu’on ne pouvait organiser la course. Pffff… leur feuille, je l’ai aussitôt mise à la poubelle ! A l’époque, on pouvait se permettre de faire ça vu le peu de participants. C’était pas compliqué de flécher un parcours, mettre en place quelques ravitaillements, avoir quelques bénévoles… ». Les années suivent et se ressemblent : des années durant, la FFA ne donne pas son accord. Cela n’a toutefois pas empêché la course de continuer à grandir à une vitesse folle : 180 partants en 1973 , 530 en 1974, 800 en 1975, etc… En comparaison, souvenons-nous quand même que la première édition du marathon de Paris a eu lieu en 1976 avec… 126 coureurs, et aucune femme. On sait ! C’est dingue !
Un parcours inchangé depuis 1973
Bon, pour les geek parmi nous et pour être tout à fait précis, la première édition comportait du chemin en passant par les gorges aux alentours de Creissels et consistait en trois boucles de 30 kilomètres. Après, le parcours n’a pas changé d’un centimètre. La première boucle est plate et vous fait passer par les villages d’Aguessac (7ème), Rivière S/ Tarne (13ème), le Rozier au semi ou encore Paulhe au 34ème, avant de revenir sur Millau au niveau du marathon. La deuxième boucle est elle en revanche T-E-R-R-I-B-L-E : la fameuse côte de Tiergues est à grimper deux fois – aux 61ème et 73ème kilomètres – ainsi que la descente vers Saint-Affrique, du 65ème au 70ème kilomètre. Celle-ci met systématiquement vos quadriceps au supplice. Au cas où ça vous intéresse, la course se gagne et se perd ici, dans cette deuxième boucle et seul un coureur a d’ailleurs réussi à gagner la course en passant en tête dès le marathon en 48 éditions ! Il s’agit de Jerôme Bellanca en 2017.
Lorsque l’on interroge les coureurs, ce qui revient le plus dans le choix de cette épreuve c’est : « le parcours bien évidemment ! ». Il est vrai qu’il y a quelque chose de grisant à courir au milieu des paysages aveyronnais, même en cas de pluie. Vous levez la tête et oubliez presque que vous êtes sur une course sur route. Certains aiment tellement la course qu’il en font leur rendez-vous immanquable de l’année depuis plus de 20 ou 30 ans. Parmi eux, Jean-Pierre Lucas. L’homme à l’emblématique moustache est le recordman du nombre de participations avec un total de…45. Il n’a jamais abandonné ! Cette série hallucinante a démarré en 1972 pour s’achever en 2016 (âge et genoux fatigués). Jean-Pierre faisait donc partie des pionniers de la course : « Il faut d’abord savoir que je ne suis pas de là-bas. J’étais en vacances chez mes parents en Bretagne quand j’ai vu ce tout petit encart de 3 lignes dans un journal. Il disait que Serge Cottereau osait se lancer dans l’organisation de cette course avec Bernard Vidal et j’ai tout de suite voulu y aller. J’avais 24 ans et mon père à ce moment-là m’a dit que j’étais complètement givré ! Pour cette première participation, je termine 31ème sur 35 en 13h00 tout rond avec les pieds en sang dans mes chaussures en toile parce qu’il n’y avait pas de vraies chaussures de running à l’époque ! ». Malgré cette expérience légèrement douloureuse, Jean-Pierre avait bel et bien chopé le virus et il était tombé amoureux de la course. Il y reviendra 44 autres fois sans jamais se blesser. Aujourd’hui, même s’il ne court plus, vous pouvez toujours le croiser sur le parcours à chaque édition. Et lorsqu’on lui demande s’il peut nous citer un souvenir marquant en particulier, il répond qu’il retient surtout les moments d’amitié avec les gens et la qualité de l’organisation : « Certaines discussions durent 5 minutes, d’autres 3h et on retrouve parfois les gens l’année suivante. C’est ce qui fait la beauté de cette course. Je tiens d’ailleurs à souligner mon immense respect pour les organisateurs et les bénévoles grâce à qui j’ai vécu de super moments ! ».
L’organisation justement, parlons-en.
Nous ne pouvons qu’abonder dans le sens de Jean-Pierre Lucas ! Celle-ci est parfaitement rodée. Le village course est une vraie réussite, on y trouve des exposants de sport, de produits locaux et même un bar avec une fanfare pour divertir les coureurs la veille de l’événement. On retire son dossard très facilement et le soir venu, tout le monde se retrouve dans le gymnase du parc de la Victoire pour une pasta party mémorable et une présentation des différents meneurs d’allure. Au cas où la tête vous tourne sur la course et que vous ayez besoin de repères. L’ambiance est là bon enfant, détendue. Et on peut même discuter avec les élites qui finissent en 8h et partagent ce moment avec nous autres simples mortels. C’est vrai qu’on ne peut pas retrouver ces ambiances sur marathon. Vous imaginez Eliud Kipchoge manger des pâtes bolo’ et du fromage fondu avec des amateurs assis dans des chaises en plastique le tout dans un gymnase de petite ville la veille d’une course ? non ? Nous non plus.
Et les vélos alors ?
La présence de suiveurs à vélo à partir du 7ème kilomètre est une autre invention finaude qui date de 2005. Patrick Gineste, co-organisateur actuel, nous explique d’où vient l’idée : « Mizuno, sponsor historique de la course, nous l’a proposé il y a quelques années sur une idée de Bruno Heubi, alors sous contrat avec eux. Cela permet en effet d’avoir des repères, de l’aide logistique et psychologique aussi. Ça aide aussi à rendre la course vraiment spéciale car les souvenirs sont dès lors partagés entre couples, familles, amis ».
Vous l’avez compris, les 100km de Millau, c’est plus qu’une petite course de village.
C’est un mythe ! Et si vous ne voyez toujours pas pourquoi, ne cherchez pas, c’est juste que vous n’êtes pas fait pour ça. On vient aux 100 km de Millau pour vérifier, ou découvrir, ce que l’on a dans le ventre mais aussi pour partager quelque chose de spécial avec les autres coureurs, les bénévoles, les organisateurs. Au bout du compte, vous n’allez pas retenir votre chrono ou même votre place de finisher mais bien les paysages traversés, les moments de doute, d’euphorie, votre engueulade avec votre suiveur, les nouveaux copains, bref, les émotions avant tout. Ce n’est pas pour rien qu’il n’y a pas de médaille ou de t-shirt finisher à l’arrivée, juste un petit cadeau pour marquer le coup. Aux 100km de Millau ce qui compte c’est le voyage, pas la destination.
Nos deux reportages précédents, réalisés en 2017 et en 2018 étaient là :
https://leblog.enduranceshop.com/inside-millau/
https://leblog.enduranceshop.com/millau-ainsi-parlait-ouin-ouin-jojo-fifix/
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