
Hier et avant-hier se déroulait un moment clé de la course : la grande étape. 66 km.
Bon, allez, on vous coupe net le suspens : c’est encore le gentil péruvien Rimegio Human Quiespe, leader inconstesté, qui a fait la course en tête de bout en bout. Seulement, cette fois, il était accompagné du coureur espagnol Chema Martinez. Ces deux prétendants à la victoire n’ont cessé de se challenger et de se tester jusqu’au finish. Quand ils passent la ligne mardi soir, main dans la main avec un chrono de 7h, le reste du peloton est encore loin derrière, sur les sentiers de l’île. Les derniers concurrents étant attendus mardi matin.
Ce HMDS de Fuerteventura, comme c’est aussi le cas pour le MDS au Maroc, la course originelle, ne se vit donc pas de la même manière pour tous. On s’en doutait. Les premiers arrivés de cette longue étape, dont le cut-off est de 25h, ont donc plus de temps que les autres pour récupérer, notamment une vraie nuit de sommeil réparatrice. Les plus lents sont arrivés au compte-gouttes, les uns après les autres, tôt dans la soirée bien sûr mais aussi jusqu’à environ 6h00 du matin pour les derniers, hier mercredi. C’est un groupe de coureurs européens qui a franchi la ligne en dernier. Certains s’allongent, d’autres se serrent dans les bras, en se disant que le plus dur est fait. À l’arrivée de cette grande étape, tous étaient là pour accueillir ces derniers survivants. C’est un des symboles de cette course, signe de partage et de solidarité.
Chez les filles, c’est la Française Mathilde Vinet qui est maintenant en tête du classement général. Partie 3ème chez les femmes mardi matin, elle passe première assez rapidement lors de ces 66 km infernaux, autour du second ravitaillement de la journée, preuve d’une belle gestion de l’étape de lundi. La voici donc désormais seule devant. Elle tentera bien sûr de conserver sa place aujourd’hui jeudi lors de la 3ème et dernière étape de 22 km car rien n’est encore joué pour elle et pour ses adversaires. Notons que les organismes ont été mis à rude épreuve sur ces deux jours de course non-stop et que le poste médical a eu un peu de travail pour soigner les petits bobos. Rien de méchant toutefois : « Nous sommes une équipe de 10 à 15 médecins et nous veillons jour et nuit à la santé des concurrents.
Aujourd’hui, ils ont le sourire malgré quelques jolies ampoules et des douleurs aux jambes » nous a ainsi confirmé, confiant pour la suite, Patrick Basset, le médecin responsable du pôle médical. En milieu d’après midi, hier, une distribution de Coca-Cola était même organisée. Une petite canette par personne. Le rêve ! Les concurrents retrouvent tous le sourire et profitent de ce petit moment de plaisir. Mais ce n’est pas terminé. Aujourd’hui, jeudi, c’est la dernière étape grâce à laquelle ils vont pouvoir terminer leur aventure. Le départ sera donné, comme chaque matin, à 9h30, de La Mata, au coeur de l’île et au pied des volcans. L’arrivée se fera à l’hôtel Playitas.
Bien entendu, Alessandra Rampazzo, notre envoyée spéciale, notre « petit canari » était de la partie. Elle a résisté, a terminé à 23h37 mardi soir après un tout petit plus de 14h de course. Voici son récit.
« Jamais de ma vie je n’avais couru ou même marché une distance similaire en une seule fois. Le temps limite était de 25h, une journée et une nuit donc. J’ai mis 14h. Je suis partie le matin et arrivée peu avant minuit. Non-stop. Une belle et longue journée. Vous vous rendez compte de ce que ça fait ? Dès 6h30, comme chaque matin, avec le soleil et la chaleur, tout le bivouac est debout. L’humidité de la nuit a néanmoins tout détrempé. Certains ont leurs affaires toutes trempées. Heureusement, j’avais eu la bonne idée de mettre mes chaussures à l’intérieur, dans la tente. Je l’avais fait plus par peur des scorpions et des araignées que par anticipation de prévisions météorologiques. J’ai pris mon petit déjeuner lyophilisé et j’étais prête à partir. Ma tente reste au bivouac toute la journée. L’étape est une sorte d’aller retour. Mais il faut la laisser vide et bien porter tout son matériel. C’est la règle. Tout tient dans mon sac à dos : matelas gonflable, sac de couchage, encore quelques paquets de nourriture lyophilisée pour les prochains jours et bien sûr mon matériel de premiers secours. 9h30 : le départ. Quelques kilomètres de dunes de sable nous mènent à la plage. C’est sans fin : 13 km de sable mou, heureusement légèrement plus compact au bord de l’eau. L’enfer. J’essaie de courir quelques kilomètres, puis j’abandonne. C’est trop pénible. Alors je marche. Je ne suis pas la seule. Les vagues ne sont pas loin et à plusieurs reprises je manque de me faire sacrément arroser (happer ?). J’ai eu peur rien que d’y penser. Km 20 et j’y suis déjà depuis 4h. La plage se termine et un sentier apparaît enfin. Il n’y a plus de sable mais des roches, des pierres, beaucoup de pierres. La chaleur commence aussi à se faire sentir. On monte et on descend continuellement et les jambes commencent déjà à être lourdes. Parfois, le chemin n’est pas évident à suivre et il faut faire attention aux petits panneaux placés par l’organisation. Je l’apprendrai à mes dépends ».
La règle du jour : ne jamais se fier complètement à la personne devant soi. Le risque ? Couper un tronçon de route sans le faire exprès, pas toujours simple quand il fait nuit, et se prendre une amende de…3 heures au chrono final. 3h ! Bon, je me rassurerai plus tard car la liste des coureurs qui ont fait cette erreur est plus que longue ! Ce n’est pas très important au fond. Je ne suis pas là pour le chrono. Terre, gravier, cailloux…en haut des collines j’admire les points de vue sur l’océan Atlantique, des deux côtés de l’île ! Dieu que c’est beau (comme chantait Balavoine). Il y a encore une partie de plage. Pas simple. D’autant qu’elle va se faire à la lueur de ma frontale. Je ne vois pas grand chose. Plutôt que de la porter sur la tête, je la tiens dans la main. Il y a de la brume et c’est difficile de s’orienter. Il fait nuit et il n’y a personne autour de moi. À certains moments c’est totalement grisant, fascinant, et puis à d’autres, c’est un peu effrayant. Encore une fois je trouve que la signalisation est trop légère : tous les signes posés par l’organisation ne sont pas réfléchissants et puis avec ce vent, beaucoup se tordent et sont encore moins visibles. À un ravitaillement, mes pieds me font trop souffrir. Je demande aux médecins de s’occuper de mes ampoules. Deux ampoules, rien de dramatique, mais quel plaisir de s’asseoir sur une chaise après 55 km !
Les 10 km suivant se font à nouveau dans des dunes de sable. A quelques kilomètres de la finish line, ma lampe s’éteint. Je n’ai plus de piles. J’ai la flemme de m’arrêter et fouiller dans mon sac à dos pour mettre mes batteries de rechange. J’attrape mon iPhone, allume sa torche et je continue avec ça. Je ruine ma batterie pour la suite mais tant pis. Vive la technologie ! Après 14 heures et 5 minutes de course, je franchis la ligne d’arrivée. Il est 23h35. Le bivouac est à moitié vide. Il y a ceux qui sont déjà en train de se reposer, et puis les tentes vidées des concurrents encore sur le terrain. Mais à l’arrivée, sur la ligne à proprement parlé, il n’y a personne. C’est dur. En fait, je suis un peu déçue. Pas une photo? Pas un applaudissement ? Pas un « bravo ! ». Rien. C’est un peu décourageant. Je prends mes 10 litres d’eau obligatoire et je me dirige vers ma tente. Arrivée à travers celle-ci, je regarde autour de moi : presque tous mes camarades sont là. Bravo ! Le lendemain, je me repose. Peu importe la langue parlée, les sacrifices consentis permettent à tous de rester unis. On se croirait dans une grande équipe de foot où le mot clé est de s’entraider. C’est un super feeling. On ne rencontre pas ça souvent dans sa vie de tous les jours. C’est aussi ce qui rend cette course si différente et si spéciale je crois ». This is the end / Beautiful friend / This is the end / My only friend / The end. Là pour le coup c’est Jim Morrison. À demain.
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