
Avant de revenir sur la course masculine et le nouveau record du monde, place aux dames qui ont livré une bataille incroyable et une leçon de stratégie. Un vrai drame !
La kenyanne Vivian Cheruiyot, 34 ans, a parfaitement su maîtriser sa course. Elle s’est imposé au 38ème marathon de Londres dimanche tout en devenant la 6ème femme la plus rapide sur la distance, derrière notamment Paula Radcliffe et Mary Jepkosgei Keitany, les deux recordwomen actuelles. Avec un chrono de 2h18’31 », Vivian Cheruiyot bat sa rivale et compatriote, l’expérimentée et triple championne du marathon de Londres, Keitany. La jeune femme, qui avait réalisé une performance décevante l’an passé, ne s’est donc pas laissé abattre une seconde fois. Elle a su s’en tenir à sa stratégie, fatale à ses adversaires.
Vivian Cheruiyot est la championne olympique 2016 du 5000 m de Rio – elle avait également remporté l’argent aux JO de Londres en 2012 sur 5000 m et l’argent sur 10 000 à Rio, sans compter ses 4 médailles d’or aux championnats du monde d’athlétisme sur 5000 m et 10 000 m de 2009, 2011 et 2015. Ce dimanche, elle a donc fini la course à une minute devant sa compatriote Kenyane Brigid Kosgei et la belle éthiopienne Tadelech Bekele qui termine en 3ème position. Elles ont couru sous une température de 23°C, plus chaude que ce à quoi sont généralement habituées ces championnes lors des très grands marathons européens et américain. Le départ avait été donné au Sud-Est de Londres à 9h15 du matin, heure locale, par Kathrine Switzer, l’Américaine pionnière qui avait été, on ne l’oublie pas, la première femme à courir le marathon de Boston. C’était en 1967. Plus tard, Kathrine Switzer s’était également imposée à NYC en 1974.
Avant la course, Mary Keitany, 34 ans, était au cœur des débats.
Depuis 2003, et le record du monde (mixte) de Paula Radcliffe, 2h15’25 », personne n’avait en effet réutilisé de lièvres masculins, les fameux « pacers ». Mais le record du monde (non-mixte) de Keitany de 2h17’01 » en 2017 avait convaincu les organisateurs londoniens de laisser des « pacers » hommes assister cette année les élites femmes, avec l’espoir de voir un nouveau record du monde tomber. Partie sur les chapeaux de roues, et des temps intermédiaires de record du monde justement, avec ces 5 « pacers », Mary Keitany n’était talonnée que par l’éthiopienne Tirunesh Dibaba. Les premiers km se déroulaient comme prévu : les deux jeunes femmes avaient l’air relâché, tout allait pour le mieux et elles passaient la marque des 3 miles (4,8 km) en 15’13 ». A 10 » derrière elle, un groupe de chasse de deux athlètes s’était organisé : Brigid Kosgei et Gladys Cherono. Un autre groupe était plus loin à 20 ». Il était composé de Vivian Cheruiyot, l’ancienne championne du monde Mare Dibaba, la championne du marathon de Londres 2015 Tigist Tufa, la championne du monde actuelle Rose Chelimo et puis aussi Tadelech Bekele. Mais les deux leaders ne ralentissaient pas et passaient le km 10 en 31’46 ». C’était 15 » plus rapide que le record à battre de Paula Radcliffe. Jusque-là les pronostics étaient justes.
Au km 15 pourtant les choses allaient changer.
C’est Tirunesh Dibaba qui, la première, a commencé à montrer des signes de fatigue. Elle perdait du terrain sur la kenyanne Mary Keitany qui, au contraire, s’appliquait à maintenir son allure rapide. Au km 20, sur le bruyant Tower Bridge, que Keitany passe en 63’50 », elle avait maintenant 15 » d’avance sur cette plus proche concurrente. A son époque, Paula Radcliffe était passée en 68’02 » avec des conditions climatiques plus adéquates : 16°C en milieu de journée ; sans compter sur une foule acquise à sa cause. Keitany était donc à ce moment-là en avance sur son chrono prévu mais un brin moins rapide que l’an passé quand elle était passé en 66’54 » au semi. Kosgei, Cheruiyot et Cherono étaient à ce moment-là relayées à plus d’une minute derrière elle. Elles avaient même disparu visuellement mais maintenaient leur écart. De même, le duo éthiopien Mare Dibaba et Tadelech Bekele s’accrochait derrière Mary Keitany à 46 ». Sur les bords de la Tamise et sur la route qui mène à Canary Warf, Keitany commençait malheureusement à montrer quelques signes de moins bien. Elle semblait moins zen, respirait bruyamment et balançait ses bras de chaque côté avec plus de force afin de maintenir son allure de record du monde. Ses « pacers » étaient un peu nerveux eux aussi. Ils se parlaient beaucoup et demandaient avec insistance à la jeune femme de rester collée dans leurs pieds. Ce n’était pas facile et le début du drame se jouait là.
Keitany souffrait de plus en plus.
Partie sans doute un peu trop vite, elle n’allait bientôt plus réussir à maintenir son allure. La température un cran plus élevé et c’était là, dans le quartier de Canary Wharf que sa tentative de nouveau record du monde allait prendre fin. Au km 30, Mary Keitany était maintenant 37 secondes plus lente que la vitesse du record de Paula Radcliffe. L’éthiopienne Mare Dibaba était toujours en chasse derrière elle mais elle aussi souffrait. C’est alors qu’un coup de théâtre a éclaté : fatiguée, passée la marque des 30 km, Dibaba justement s’est arrêtée d’un coup de courir. Elle s’est mise à marcher. Elle a abandonné quelques mètres plus loin et a déclareré avec lassitude après la course : « J’étais trop fatiguée… ». Au km 35, Mary Keitany est encore en tête. Elle lutte mais le trio de poursuivante se rapproche dangereusement. Il se compose de Cheruiyot, Kosgei et Bekele. Il arrive à sa hauteur, la double, sans peine. Mary Keitany est vidée. Elle n’a plus assez d’énergie pour les retenir. Elle les laisse filer.
Alors Vivian Cheruiyot met le turbo.
Elle avait jusque-là maintenu son allure, s’économisant. Elle met ici en pratique son expérience du 10 000 et court désormais à une vitesse digne de la piste. Elle passe ainsi Keitany sans un regard et sent que la victoire est à sa portée. Galvanisée par sa victoire au marathon de Frankfurt l’an passé, Cheruiyot ne connaît pas la peur de gagner. Elle veut s’imposer. Elle sait s’imposer. Elle se cale alors derrière les « pacers » masculins qui accompagnaient jusque là Keitany et s’envole avec une aisance déconcertante vers la victoire. Brigid Kosgei et Tadelech Bekele ne peuvent pas revenir. Elles dépassent néanmoins elles aussi Keitany et finissent sur la seconde et troisième marche du podium. C’est donc Kosgei, une habituée des marathons sous la chaleur puisqu’elle s’est imposée deux fois au marathon de Honolulu en décembre, à Hawaii et sous une humidité importante, qui termine à la seconde place, une minute derrière Cheruiyot. À 3 minutes derrière elle, surgit maintenant Bekele. Keitany est loin. Pour Vivian Cheruiyot, qui a encore accéléré sur la toute fin, son chrono de 2h18’31 » est de très loin son tout meilleur. Il est aussi désormais le 6ème meilleur chrono marathon féminin de tous les temps.
Pour Paula Radcliffe, cela n’a fait aucun doute : « Vivian Cheruiyot a fait la course la plus intelligente, la plus sage et la plus stratégique » allait-elle déclarer un peu plus tard à la télévision anglaise. La nouvelle championne de Londres Vivian Cheruiyot ne pouvait qu’être de cet avis : « Je ne voulais pas réitérer les mêmes erreurs que celles de l’an passé. C’est pourquoi je n’ai pas cherché à suivre les allures de record du monde de Keitany et Dibaba. J’étais dans le 3ème groupe pendant un long moment et puis j’ai même fait 5 km toute seule » dira-t-elle avant d’ajouter : « Généralement j’aime bien quand il fait chaud alors ces conditions étaient pour le moins parfaites pour moi aujourd’hui. Passer de 2h23′ à 2h18′ comme record personnel, c’est vraiment bien ! Je suis très contente. Quand j’ai doublé Mary, j’ai tout de suite su que j’allais m’imposer. Je me sentais si bien ».
Brigid Kosgei était aussi de son côté très satisfaite de sa propre performance. Elle a en effet réussi à réduire de 10 » son meilleur chrono sur la distance ; chrono qu’elle avait réalisé l’an passé au marathon de Chicago. Quant à Tadelech Bekele, elle permet d’éviter un podium à 100% kenyan. Gladys Cherono, qui avait gagné le marathon de Berlin, prend la 4ème place, devant Mary Keitany, décidément bien à la peine sur cette fin de course. Elle franchit la ligne en boitillant et en 2h24’27 ». La première européenne est une anglaise, Rose Chelimo. Celle-ci finit 6ème avec un temps de 2h26’03 ». C’est 7’32 » de plus que Vivian Cheruiyot. Suivent d’autres anglaises et des Américaines. Mais pas de françaises.
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