
Dean Karnazes et le Coronavirus
Par la rédaction, avec Gaël Couturier. Photos © collection personnelle de Dean Karnazes.
Dean Karnazes est un mythe. Cela fait longtemps qu’il est dans le circuit et ses performances sont derrière lui. Mais après les soldats français Sébastien Chaigneau, Julien Chorier, Sébastien Camus et Sébastien Nain, voici le bon Spartan Américain. Grec d’origine, Dean a l’expérience des gros challenges, des missions impossibles, des situations désespérées. C’est beau. C’est touchant. C’est vrai. Une légende ce mec. Infos sur http://www.ultramarathonman.com/
Vous vous demandez ce que Dean Karnazes a fait ? Bof, pas grand chose. Près de 5000km en courant de NYC à Los Angeles, 50 marathons dans 50 états américains en 50 jours ou encore vainqueur de la Badwater en 2004 et aussi 11 fois finisher de la Western States 100-Mile Endurance Run en moins de 24h entre 1994 et 2006 (Silver Buckle). Voici notre interview réalisée il y a quelques jours par plusieurs échanges de mails.
Le Blog Endurance Shop : Dean, merci de nous accorder un peu de votre temps, même si bien sûr on imagine que vous en avez, du temps justement. Quoi qu’il en soit, vous qui avez réalisé des performances de dingue il y a quelques années maintenant, vous avez en effet bientôt 58 ans, vous devez avoir des idées et des conseils à nous donner pour ne pas perdre la boule pendant ce confinement non ?
Dean Karnazes : Bon, alors comme vous le savez, la situation n’est pas la même d’un pays à l’autre et moi qui habite près de San Francisco, dans le comté de Marin, de l’autre côté du pont, j’ai encore la chance de pouvoir aller courir dehors. On a de très beaux sentiers et c’est là que je vais chercher Dieu. Oui, Dieu. Je fais aussi beaucoup de cross-training chez moi mais sans poids artificiels, juste avec mon corps. Je fais des pompes, des abdos, des tractions, des dips et beaucoup, beaucoup de burpees. Et puis je ne suis jamais assis. Tout ce que je fais dans ma journée, je le fais debout : mon travail sur l’ordinateur, ma cuisine, mes repas….tout, je reste debout tout le temps.
Le Blog Endurance Shop : Il est tentant de se tourner vers les coureurs plus âgés, plus expérimentés, surtout ceux qui ont fait des ultra, des courses aventures, des trucs difficiles qui demandent un mental de guerrier. Est-ce qu’en ces temps perturbés vous êtes plus sollicité que d’habitude pour répondre à des questions, donner des conseils, rassurer, éclairer ?
Dean Karnazes : Il y aura toujours des gens qui auront besoin d’une raison pour courir. Moi, je trouve que courir se fait tout seul. Mais bon. C’est moi. Et c’est cet amour du running et de l’aventure qui m’a toujours fait avancer, et non pas les éventuelles victoires ou les records. Il y a un proverbe portugais que j’aime beaucoup et qui dit : celui qui court pour le plaisir ne se fatigue jamais. Si vous êtes passionné, comme je le suis du running, vous ne vous arrêterez jamais.
Le Blog Endurance Shop : C’est très beau tout ça mais en ce moment ça peut être dur de rester motivé et bien équilibré, bien dans ses baskets comme on dit. Comment vous arrivez à rester positif et surtout qu’est-ce que vous dites à ceux qui doutent, à ceux qui souffrent et qui sont angoissés à l’idée que nous ne reprendrons peut-être jamais la vie comme elle était auparavant?
Dean Karnazes : Ce qui se passe en ce moment c’est très difficile. Même pour moi. Je m’étais fait un planning de course bien chargé pour la saison 2020 et, bien entendu, comme vous sans doute, tout est gravement chamboulé. Toutes les épreuves de masse ont été annulées, tout comme les autres compétitions sportives. Mais vous savez, la motivation, c’est quelque chose de personnel, ça vient de l’intérieur. Ça ne vient pas d’éléments extérieurs. Je reste très motivé quoi qu’il arrive et même si les épreuves sont annulées, j’aime toujours autant aller dehors ou m’entraîner enfermé chez moi. En fait, ça peut sembler paradoxal mais ma relation à la nature s’est renforcé. Et je suis sûr que pour ceux d’entre-vous qui ne peuvent pas vraiment sortir, vous y pensez, vous en rêvez et vous réfléchissez sur votre relation à la nature et à quelle point c’est une grande histoire d’amour.
Le Blog Endurance Shop : Est-ce qu’il est possible de faire un parallèle entre les épreuves de la vie comme celle que nous avons tous face à nous en ce moment et puis le sport de l’ultra running, que ce soit sur route ou en trail running ? Vous le savez sans doute mais certains ont perdu leur job, d’autres sont seuls, très isolés…
Dean Karnazes : Ce que je peux dire c’est qu’avec mon expérience des longues distances, je sais que se concentrer sur la ligne d’arrivée ou chercher à se focaliser sur ce moment tant attendu où les choses vont s’arranger ne fait que renforcer votre désarroi. Ce qu’il faut faire c’est accepter les épreuves, rentrer la tête, serrer les dents, ne pas avoir peur des lendemains qu’on ne maîtrise pas, ne surtout pas avoir peur de l’inconnu et se concentrer sur notre vie au jour le jour, affronter les problèmes un à un, faire de notre mieux, et ne pas cherche à tout maîtriser, tout accepter, tout contrôler. Il faut avancer petit à petit, et ne surtout pas se focaliser sur la fin de la pandémie, l’éventuel vaccin qui tarde à arriver, ou la reprise de toutes nos activités. Sinon, le risque c’est de se sentir tout petit, écrasé par le poids des responsabilités, par l’immensité du problème. Il faut accepter de le découper et de concentrer sur de plus petites choses. Et puis avancer, continuer, quoi qu’il arrive. Au bout d’un moment, comme dans une grosse course d’ultra, les choses se passent, les km défilent.
Le Blog Endurance Shop : C’est beau. J’en ai les larmes aux yeux dis donc ! Et alors à votre avis quelles vont être les conséquences de cette crise pour les coureurs à pied de cette planète ?
Dean Karnazes : Je pense que la course à pied connait un bouleversement sans précédent qui va nous impacter sur du long terme. Les grosses compétitions, les événements de masse et les sorties en groupe sont bel et bien terminés. C’est comme ça. Le bon côté des choses c’est que de plus en plus de gens vont se mettre à courir pour faire face à leurs difficultés dans la vie de tous les jours. Je pense que la course à pied va connaître un nouveau boom, une croissance rare. Bien sûr, les courses vont revenir mais elles seront différentes à l’avenir. Les départs seront par vague et non pas tant en masse comme aujourd’hui, les ravitaillements auront des protocoles différents, plus sûrs, plus propres. La nourriture sera proposée dans des emballages, et les bénévoles porteront des gants, peut-être même des masques. Le running est un sport qui ne nécessite que très peu de matériel, et c’est pourquoi, par réaction, les gens seront de plus en plus attirés par lui. Le monde de la course à pied ne va pas disparaître. Il va au contraire progresser, grandir, grossir.
Le Blog Endurance Shop : Puisque vous avez poussé les études un peu plus loin que la moyenne avec notamment un MBA qu’est-ce que vous pouvez nous dire de la réaction de l’industrie du running en ce moment : qu’avez-vous observé ?
Dean Karnazes : Je ne peux parler que de ce je connais mais ici aux USA, l’industrie des sports d’endurance s’est regroupée dans ce qu’on appelle l’Endurance Sports Coalition, dont je suis d’ailleurs membre. C’est une approche commune dont le but est de modifier les politiques de nos gouvernement. Le running ici aux USA, mais c’est la même chose dans les autres pays je crois, est fait de petits acteurs, de petits opérateurs. Il n’y a pas, ou alors très peu, de grands groupes. Chacun fait un peu les choses de son côté. J’ai moi-même participé ces derniers temps à quelques courses virtuelles et chacune à des spécificités qui lui sont propres. Pour le moment, tout le monde est encore sous le choc, on réagit à l’instinct, ce qui est normal quand on fait face à une crise comme celle-là. On verra si nous sommes capables d’agir davantage en tant que communauté dans les prochains mois, les prochaines années et si on parvient à faire un front commun pour défendre nos idées, nos valeurs. Ça me semble essentiel. Quoi qu’il arrive, les gens vont continuer de courir.
sLe Blog Endurance Shop : Pourquoi vous n’avez jamais fait de politique ? Vous avez réalisé des choses incroyables sur le plan sportif, vous êtes éduqué, intelligent et les gens vous respectent. C’est dans ces moments-là qu’on a besoin de leaders, de chefs qui savent tracer la route.
Dean Karnazes : Vous savez, j’aime bien l’adage qui dit que les gens qui devraient faire de la politique pour le bien commun ne sont pas attirés par la politique. Je suis bien trop introverti pour faire de la politique sincèrement. Il y a des gens qui n’aiment pas rester seuls. Moi j’adore ça ! Je continue d’écrire des livres, de partager mes idées, et ça a l’air de plaire. Je suis grecque d’origine et j’ai étudié l’histoire de la Grèce antique. Rien n’a tellement changé en 2500 ans d’histoire. On se bat toujours pour les mêmes choses. C’est peut-être triste mais c’est comme ça.
Le Blog Endurance Shop : En tant que coureur à pied, quelle est la première chose que vous ferez quand cette histoire du Coronavirus sera derrière nous ?
Dean Karnazes : Je commencerai par prendre une grande inspiration, suivie d’une longue expiration. J’aime les gens, je m’intéresse à eux et malheureusement cette pandémie a déjà fait beaucoup de dégâts. Il y a beaucoup de morts. Trop. C’est insupportable.
Le Blog Endurance Shop : Et que pensez-vous que nous devions alors transmettre aux générations suivantes, à nos enfants, aux jeunes ?
Dean Karnazes : Je pense qu’au final, j’espère, que cette crise aura un impact positif sur l’humanité. Nous allons ensemble prendre conscience de qui est important, essentiel à notre survie. Nous allons nous recentrer sur ce qui nous tient vraiment à cœur. C’est peut-être un signe de Dieu, ou de la nature, qui nous dit « allez, assez joué, filez dans votre chambre, vous êtes punis ». On est au coin. Et on en ressortira grandis, plus mûrs, plus sages et surtout plus reconnaissant de ce que la planète peut nous offrir. C’est terrible d’être ainsi privé de la liberté d’aller dehors.
Le Blog Endurance Shop : Un dernier mot sur votre nouveau livre, « The road to Sparta ». Précisons d’abord qu’il n’est pas encore traduit en Français. Pourquoi avoir mis autant de temps à l’écrire ? Cela fait presque 10 ans qu’on attendait un livre de votre part. Et est-ce qu’il y a dedans de quoi faire un parallèle avec la situation actuelle ou pas du tout ?
Dean Karnazes : J’aime écrire mais c’est aussi quelque chose que je ne peux pas faire sous la contrainte. Je n’y arrive pas. Pendant presque 10 ans, je n’ai pas eu de sujet. Et puis j’ai eu un déclic et l’écriture m’est alors venue naturellement. Et s’il y a un thème dans le livre propice à la situation actuelle c’est que l’on devient endurant en pratiquant l’endurance. Il n’y a pas d’autres moyens.
Pour ceux qui nous lisent et parlent anglais, voici la version originale de la conversation entre Dean Karnazes et Gaël Couturier.
Le Blog Endurance Shop: How do you train and stay fit these days with the isolation/impossibility to run as before: I imagine you have a different training routine now. Can you share it with us, and does it include more weights training/lifting?
Dean Karnazes: Thankfully I am still able to run outdoors where I live. The area is called Marin County and is located across the Golden Gate Bridge from San Francisco. We have some beautiful trails along the coastline and these trails are where I go to find God. I also do a lot of cross-training with bodyweight only exercises. Push ups, pull ups, sit ups, dips, and lots of burpees. Also, I never sit down. All of my daily activities are done while standing up. Even now during this interview I am standing up.
Le Blog Endurance Shop: As a 47 years old ultra runner myself, I am very tempted to turn to slightly older / more experienced ultra runners who have been successful both in life and in the sport, for guidance and positive thoughts. Do you more people sending you messages and asking you to share your experiences and vision with them these days?
Dean Karnazes: Some people seem to need a reason to run, I find running worthwhile in itself. It is this love of running and exploration that has always fueled me, not winning races or setting records. There is a wonderful Portuguese proverb: Who runs for pleasure never tires. If you are passionate about something, as I am with running, you will keep it up forever.
Le Blog Endurance Shop: Mentally speaking, how do you remain calm and positive when we don’t know when we’ll be able to get our existence back to normal again, if ever at all?
Dean Karnazes: This is difficult, even for me. I had a busy race schedule for 2020 and now my calendar is completely changed. All of the races have been cancelled, as have most sporting events. But motivation comes from within. I am intrinsically motivated so despite the events being cancelled I still enjoy getting outdoors and exercising. In fact, my relationship with nature has strengthened during this period.
Le Blog Endurance Shop: Is it possible to draw some parallels between the hurdles we are all facing and the sport of ultra running (some lost their jobs, some are more depressed now because they can’t go to the gym or have to train alone, etc…)?
Dean Karnazes: From my experience running long distances, I know that focusing on the finish line or fixating on when things will improve just prolongs the misery. We must learn to accept the difficulties and uncertainties and continue making our best efforts daily, living every moment to the best of our abilities and not thinking about when this will be over. Otherwise, it will feel like it will never be over.
Le Blog Endurance Shop: What do you think will be the consequences of this health crisis for runners across the globe?
Dean Karnazes: Running will be changed for a long time in the future. Gone are the days of big, organized events and group runs. Ultimately, I think more people will start running in general as a way to cope with the difficulties, so running will experience a resurgence in growth. Races will come back, but they will be different in the future. I think you will see more staggered race starts, rather than mass starts, and aid station protocols will change. More food will be wrapped or protected and aid station workers will probably wear masks. Running is the simplest sport to learn and doesn’t require any specialized equipment, so more people will be drawn to it. Running is not going away.
Le Blog Endurance Shop: Since you have an MBA, I’ll ask you this: from what you witness, do you think the outdoor/running industry is reacting the right way about this crisis? What else can they do, you think?
Dean Karnazes: The industry has formed the Endurance Sports Coalition, which I am a member. This is a concerted approach to changing governmental policy in our favor, which is an important first step. The thing with running is that it’s still largely a cottage industry made up of smaller operators. Different events and organizations are doing things differently and there isn’t much uniformity. I’ve been part of a number of virtual races and all of them are slightly distinctive. Right now the industry is reactionary mode, which is typical during a crisis. Time will tell whether we can come together as an organized front. But either way, people will continue to run.
Le Blog Endurance Shop: Why have you never been tempted by politics? In times like these, I’m sure we could all benefit from your experience and ideas.
Dean Karnazes: There is a saying that the best people for politics would never think of entering politics. That, and I’m too much of an introvert to be in politics. Some people cannot bare being alone, I long for it. I continue writing and sharing my thoughts and ideas, and people seem to appreciate that. Being Greek and having studied ancient Greek history, I know that not much has changed with politics in the past 2,500 year. We still fight about the same things.
Le Blog Endurance Shop: as a runner, what will e the first thing you’ll do once this pandemic is behind us?
Dean Karnazes: The first thing I will do is take a deep breath that the suffering is over. I care so deeply about other people and this pandemic has taken a horrible humanitarian toll. Seeing that is unbearable.
Le Blog Endurance Shop: And how do you think the coronavirus crisis will impact us for the rest of our lives, and what should we pass on to the next generations?
Dean Karnazes: Ultimately, I think this crisis will lead to an enlightenment of humankind. We are collectively as a global community reevaluating what is most important to us and what it is we hold most dear. It’s as though God has said, “Okay children, it’s time to go to your rooms now.” We’ve had a timeout and I think we’ll emerge from it wiser and more compassionate, and more appreciative of nature now that we’ve experienced how devastating it is being deprived of the outdoors and freedom.
Le Blog Endurance Shop: Your new book. Why did you wait so long to write it – almost ten years – and can you draw a parallel with the current situation or not at all?
Dean Karnazes: For me, writing is not something that can be forced. A topic didn’t surface for that time but when it did The Road to Spartaemerged. The writing flowed organically and that is what makes a compelling narrative. If there is one theme from the book that applies to the situation today, that is: Endurance comes from enduring. Lord knows we are all enduring.
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