
Quand Nicolas Mermoud, un des deux fondateurs d’Hoka One One, te parle de chaussures, tu te tais et tu écoutes.
Parce que Hoka One One est une des marques qui a connu une des plus fortes progressions ces dernières années, alors que son concept n’était pas vraiment attendu, parce que nous aimons les créateurs, ceux qui osent et osent différemment, parce que la marque est avant tout une marque française et qu’elle symbolise la créativité et le courage de nos entrepreneurs – sans oublier leur réussite internationale – nous suivons de près ses évolutions. Comme vous avez pu le voir sur le blog, nous avons récemment testé trois paires de leurs nouveaux modèles : les Speedgoat 2, les Clifton 4 et les Tracer 2. Pour chacun de ces modèles, nous avons soulevé des questions, fait notre travail de critique, beaucoup apprécié ces modèles mais aussi parfois mis le doigts sur des problèmes, en tout cas des questions. Pour y répondre et nous aider à y voir plus clair, nous avons interrogé l’un des deux fondateurs de la marque, ancien trailer de haut vol et ancien de Salomon : Nicolas Mermoud.
Running Café : Il y a un décalage énorme entre ce que vous annoncez comme chiffre pour le drop de la Clifton 4 et ce que certains critiques trouvent. Nous avons ainsi noté chez le plus gros media running américain, Runner’s World, un drop de 9,1 mm pour le modèle homme et un drop de 7,3 mm pour le modèle femme alors que vous annoncez un drop de 5 mm. Pouvez-vous expliquer ces différences ?
Nicolas Mermoud : Nous mesurons toujours entre le talon et les métatarses et nos modèles ont tous des drop entre 3 mm et 5 mm. On ne va pas plus haut que 5 mm. On est donc en train de regarder avec eux pour essayer de comprendre pourquoi ils trouvent un résultat si différent alors que notre drop sur ce modèle est bel et bien de 5 mm.
Running Café : Donc ils ont fait une erreur ?
Nicolas Mermoud : Je ne sais pas. Sans doute. Disons qu’ils ont pu mesurer à un endroit où, avec le rocker, ils trouvent quelque chose de différent. Notre équipe produit doit justement aller les voir dans leur laboratoire indépendant de Portland pour comprendre d’où vient ce résultat. Je n’en sais pas plus pour l’instant. Mais pour nous, je le répète, ce drop est de 5 mm.
Running Café : Très bien. Certains pensent que cette Clifton 4 a beaucoup évolué depuis ses origines. Disons qu’elle serait devenue un peu moins « Hoka One One » au fil des années. Elle est un peu plus lourde et un peu moins souple. Vous ne pouvez le nier. Quelles sont les raisons de cette évolution ?
Nicolas Mermoud : Nous n’avons en tout cas pas bougé en hauteur dans la construction de ce modèle et la chaussure n’est pas plus dure. Au fil des années, nous avons eu de plus en plus de consommateurs qui nous suivent. Ils se sont donc habitués à la sensation Hoka One One, c’est normal, et ne ressentent plus la même rupture au niveau des sensations que lorsqu’ils nous ont chaussé pour la première fois. On a aussi parfois des tiges plus sophistiquées qui amènent plus de maintien et des mousses qui ont plus de durabilité et de rebond. C’est vrai. Quand je reprends une ancienne Bondi ou une première Clifton, j’ai tendance à m’ennuyer un peu dessus parce que la chaussure est plus « dead », plus molle que les nouvelles versions. On pense être arrivé à un niveau satisfaisant en ce qui concerne l’amorti de la Clifton 4 mais on a aussi travaillé la durabilité de la semelle et le rebond. Donc oui, le modèle est plus lourd d’environs 25g, ce qui ne doit pas être loin des 10% par rapport au tout premier modèle, et qui n’est pas négligeable. Ce qu’on cherchait avant tout avec ce modèle, c’était la légèreté. Et la Clifton est devenue, de très loin, le best-seller de notre gamme. On vise aujourd’hui un public plus large. On a donc des coureurs plus lourds, des gens qui cherchent un peu plus de maintien. La chaussure est devenue un peu plus un produit de cœur de marché. Notre extrême légèreté, on l’a traitée avec d’autres modèles type Clayton ou Tracer.
Running Café : On a le sentiment que l’épaisseur de la semelle intermédiaire justement s’est un peu réduite par rapport aux modèles précédents. N’est-ce pas un risque de vous couper de vos core customers étant donné que les semelles « oversize » ont justement contribué au succès de la marque Hoka One One ?
Nicolas Mermoud : Non, l’épaisseur (ou la hauteur) de la semelle intermédiaire ne s’est pas réduite sur la Clifton 4. Ce sont les mêmes dimensions. Vous savez, les adeptes de la marque des premiers jours, ceux qui ont tout de suite aimé nos semelles oversize, restent très très fans de Hoka. On a donc pas du tout ce phénomène de perte dans nos clients des premiers jours que vous suggérez. D’abord, parce qu’il n’y a pas de produit équivalent en face chez les marques concurrentes, et puis parce qu’on a encore des produits comme la Stinson, la Bondi en particulier, mais également la Mafate Speed 2 ou même la Speedgoat 2, où on retrouve encore ces semelles max-oversize dont vous parlez, et ce moelleux de semelle qui a fait notre réputation. D’autres éléments participent aussi à donner plus de souplesse à la chaussure, comme le grooving, c’est à dire les entailles dans la semelle externe, ou encore l’assouplissement en torsion de nos semelles. Question confort, on est donc encore mieux dans nos chaussures aujourd’hui.
Running Café : Est-ce que vous réalisez des études consommateurs et, si oui, comment les utilisez-vous dans le développement de vos modèles ? Dans quelle mesure cela vous influence-t-il ?
Nicolas Mermoud : On réalise énormément d’études. Nous avons pour cela plusieurs sources qu’il est important de bien identifier : On a d’abord des experts maison. Je veux parler des ambassadeurs bien sûr, mais aussi des gens qui travaillent en interne chez Hoka et connaissent extrêmement bien les chaussures et la marque. Ensuite, nous faisons toujours des camps avec des athlètes qui portent nos couleurs. Enfin, nous avons un service marketing basé chez Deckers à Santa Barbara qui réalise des études consommateurs. Pour finir, j’ajoute que nous réalisons des « Hoka tests tour », aux USA principalement, sur des marathons par exemple et en partenariat avec des magasins, où nous vous faisons essayer, à vous le public et à vous les journalistes, des centaines de nos nouvelles paires de chaussures. En quantitatif, c’est de loin le testing plus important que nous réalisons. C’est un sujet qu’on prend très au sérieux. Hoka vend des chaussures en faisant des tests. Les gens essaient, vont faire un tour avec et sont convaincus. C’est comme ça que ça se passe.
Running Café : J’ai lu que certains testeurs / critiques américains se plaignent d’un avant-pied très – trop – large sur ce modèle de la Clifton 4. J’ai personnellement testé la dernière Speedgoat 2 et j’ai eu la sensation inverse : mon pied était trop serré. Comment l’expliquez-vous ?
Nicolas Mermoud : La Clifton 4 et la Speedgoat 2 ont le même « last », ce qui veut dire la forme en français. Cela veut dire que ces deux modèles ont la même empreinte de largeur de moule à l’avant-pied. Globalement, la tendance générale sur nos modèles, c’est d’élargir les avant-pieds. Les moules ne changent pas chaque année mais disons que depuis 2 ans, on a une nouvelle génération de last où on a remis, dans pratiquement tous nos modèles donc, de la largeur au niveau des métatarses. On ne sera jamais au niveau d’Altra mais ce n’est pas le but recherché. Je précise quand même que la Bondi a maintenant deux largeurs différentes, dont une pour les gens qui ont vraiment les pieds très larges. Voilà pour l’empreinte du moule. Maintenant, il y a aussi la construction de la tige à prendre en compte. Car c’est la combinaison de deux choses qui donnent le volume intérieur à la chaussure. Petit rappel pour ceux que ça intéresse : dans la construction d’une chaussure, il y a une partie mâle et une partie femelle. La partie mâle c’est un bloc dur, souvent de couleur bleu, autour duquel on vient tendre la tige. La partie femelle c’est ce qui vient dessus ce moule. Spécifiquement, sur la Speedgoat qui est une chaussure de trail technique, on a cherché à améliorer la tenue avant-pied. Pour éviter que le pied se vrille dans la chaussure. La Speedgoat 1 avait une tige un peu « floppy », flottante donc, et le pied pouvait avoir tendance à tourner un peu à l’intérieur de la chaussure. La nouvelle tige possède un webbing et des renforts un peu plus tendus. Elle possède aussi une semelle interne de propreté qui fait 5 mm et ramène encore de l’amorti, ce qui a du sens sur une chaussure de trail, mais qui mange aussi un peu de volume à l’intérieur. Mais rien n’empêche d’enlever cette semelle de propreté pour gagner en volume dans la chaussure et prendre alors une demi pointure en dessous. Moi c’est ce que je fais. Vous pouvez ainsi gagner 6-7 g sur le fait de descendre d’une demi-pointure et entrer 14 et 17g sur la semelle de propreté. Ce n’est pas négligeable.
Running Café : C’est pourquoi il faut absolument essayer en magasin. Je suis d’accord. Vous me parlez de drops qui ne dépassent pas 5 mm chez Hoka One One. Mais quel est votre point de vue sur le « zero drop » ? Prévoyez-vous de proposer un modèle avec « zero drop » prochainement, comme le fait Altra, l’un de vos principaux concurrents sur le segment trail ?
Nicolas Mermoud : Non parce qu’on ne pense pas que physiologiquement cela soit une bonne chose. Il existe une littérature scientifique sur ce sujet qui va dans notre sens. Et puis une mini pente va toujours faciliter la transition vers l’avant pied. Sinon, le risque du « zero drop » c’est de trop tirer sur votre chaine musculaire postérieure, y compris sur le tendon d’achille. Donc non Hoka One One n’ira pas sur le terrain du zero drop.
Running Café : Dans un nos tests récents, concernant cette fois la nouvelle Tracer 2, notre testeur, chercheur en physiologie de l’exercice, s’est plaint de ne pas retrouver le dynamisme qu’il pensait retrouver avec ce modèle ultra léger et avec lequel il a particulièrement bien performé lors du dernier Ironman d’Hawaii. J’ai vu que votre athlète Michael Wardian portait la chaussure au dernier marathon de NYC. Je ne l’ai pas interrogé sur cette question mais comme il est sponsorisé par vous, il ne pourrait de toute façon pas m’apporter d’éléments de réponse objectifs. Qu’est-ce que vous pouvez répondre à notre testeur alors ? Avez-vous eu des retours en ce sens ?
Nicolas Mermoud : Ce n’est pas la chaussure que je connais la mieux mais je ne pense pas qu’il y ait une différence entre la Tracer 1 et la Tracer 2 au niveau de la semelle. Pour moi la Tracer 2 c’est simplement un lifting de tige par rapport à la Tracer 1. Quoi qu’il en soit la Tracer 2 n’est pas ce qu’on appelle une flat ! Mais ça n’empêche que c’est la plus dynamique de notre gamme de chaussures. On a des gars qui courent le marathon en 2h08′ ou 2h09′ avec cette chaussure ! Mais, une fois encore, c’est une Hoka One One. Ce qui veut dire qu’elle est beaucoup moins minimaliste qu’une flat race classique de chez la concurrence. On est beaucoup plus haut que les autres par rapport au sol. Hoka One One propose toujours entre 1,5 et 3 fois la quantité d’amorti qu’il y a sur les autres chaussures d’un même segment. Donc, automatiquement, le coureur va être moins dur, plus protégé. Il existe des modèles plus minimalistes depuis longtemps chez les concurrents pour faire des marathon, mais ces chaussures sont beaucoup plus dures. Chez Hoka One One, on propose toujours un volume d’amorti au niveau des métatarses plus important. Le problème des marathons en particulier, mais de toutes les courses en général, on le connaît bien : c’est la deuxième moitié de la course, voire le dernier tiers. C’est un problème pourquoi ? Parce que les organismes se dégradent physiologiquement, quel que soit le temps que vous passez sur le parcours. Il se dégrade parce que les muscles n’arrivent plus à encaisser les chocs. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la foulée d’un coureur pendant les 5 premiers km et pendant la fin de sa course : ça n’a rien à voir. A la fin, sa foulée ne ressemble plus à rien : le pied part dans tous les sens, les muscles sont fatigués, notamment à cause des impacts. Nous, notre philosophie c’est de dire qu’avec des chaussures qui te protègent plus, l’ensemble chaîne postérieur, pied, chaussure sera plus efficace. Quant au dynamisme, je vais être clair : ce qui est intéressant ce n’est pas tant le dynamisme de la chaussure , c’est le dynamisme du système. C’est le système qu’il faut regarder ! La propulsion elle ne se fait pas par la chaussure. Une chaussure c’est pas une moto neige ! Il n’y a pas d’hélice dans une chaussure. Le dynamisme, c’est le dynamisme que le coureur va mettre dans sa foulée. Le dynamisme de la chaussure, très rapidement, vous savez, on s’en fout. C’est le dynamisme de l’ensemble qui compte. Et quand le coureur est plus protégé, il est plus dynamique. Donc celui qui est chaussé d’une flat race et qui pique des petits sprints pour s’échauffer avant un marathon, bien sûr il va avoir l’impression que la chaussure est hyper dynamique. Mais c’est parce que lui, il n’est pas entamé, c’est parce que lui, il est à « zéro traumatisme ». Mais si vous le regardez, allez, même au bout de 10 tours de piste, son dynamisme personnel ne sera plus du tout le même. C’est le dynamisme musculaire qui compte, pas celui de la chaussure. Nous, chez Hoka One One, on est dans la préservation des qualités physiologiques de l’individu, grâce à notre technologie. Mais c’est la même chose avec un véhicule à moteur vous savez : si vous voulez aller vite sur un circuit, vous allez privilégiez un véhicule léger, qui est au ras de la piste et donc une voiture super sèche. Mais essayez de faire de l’endurance avec un modèle comme ça, disons 300 km non-stop. C’est impossible, physiologiquement vous n’allez pas pouvoir. Vous allez être secoué dans tous les sens, vous n’allez très vite plus supporter les vibrations dans la colonne et dans les mains. Alors qu’avec une voiture plus lourde et plus tolérante, au bout de 10 ou 30 tours, vous allez finir par aller plus vite. Parce que vous aurez été préservé, protégé. C’est la même chose avec des chaussures de course à pied et c’est ce que fait Hoka One One.
Dans la même rubrique