
Un parcours compliqué : il détruit les jambes mais fait vibrer le coeur. Conseils de guerre.
Par la rédaction, avec notre envoyé spécial Gaël Couturier. Photos © Lao Yao pour Vibram® Hong Kong 100, Lacerations.
On l’a vu dans notre première partie (ici : https://leblog.enduranceshop.com/faut-il-faire-la-vibram-hong-kong-100-part-i/) le déplacement sur la Vibram® Hong Kong 100 est à faire absolument, ne serait-ce que pour cette belle ville de Hong Kong dont il faut profiter quand on fait un déplacement aussi lointain (12h de vol non-stop). Lumineuse, énergique, déroutante et gourmande, Hong Kong bouscule les à-priori. Son mix entre l’occident, on imagine New-York en pleine effervescence, et la Chine est irremplaçable. Mais ce parcours de course à pied, car c’est bien ça qui nous intéresse, est un mélange compliqué, une aventure à laquelle il faut se préparer, une grosse épreuve pour les jambes mais un émerveillement pour les yeux. Bref, courir la Vibram® Hong Kong 100, c’est s’exposer à l’enchantement, à la passion. Il faut donc accepter de souffrir un peu pour vivre un truc exceptionnel. Voici comment s’est déroulée la course et voici nos conseils pour être finisher.
Commençons par quelques petites stats intéressantes :
Participants : 1842
Finisher : 1292 et donc 70.1% de finisher (contre 81.5% en 2018). C’est le taux le plus bas de l’histoire de cette course !
DNF: 549 (contre 344 en 2018)
Élites sous 13,5h : 33 garçons, 27 filles.
Ration hommes femmes : 75/25
Bénévoles : 1000
Pays représentés : 57 pays différents.
Lors de la conférence de presse, du vendredi 18 janvier après midi, les athlètes occidentaux, beaucoup d’américains cette année, étaient détendus, très détendus même. Trop détendus ? La preuve en images ici : Dylan Bowman est en pleine rigolade avec Timothy Olson. Puis c’est Abby Mitchell, Corrine Malcolm, Cordis Hall et l’allemand Marcel Hoeche qui se regroupent pour une dernière photo de team Adidas Terrex, quelques minutes avant le départ. Aux côtés des ces derniers que voit-on ? Des locaux, principalement Chinois qui savent quelque chose que les autres ne savent pas. Les diables. Pourtant, ces occidentaux-là ne sont pas des débutants. Dylan Bowman a par exemple gagné l’Ultra-Trail Mount Fuji et le Tarawera Ultra, Timothy Olson est double vainqueur de la Western States ® 100-Mile Endurance Run.
Tom Evans, l’anglais vainqueur de la dernière CCC, 3ème du Marathon Des Sables en 2017 et officier dans l’armée anglaise de son état (dans le corps des Welsh Guards précisément) était lui aussi de la partie. Il parait que c’est une star en devenir. On le voit ici en compagnie de ses camarades féminines de cette même team Adidas Terrex, la Russe Ekaterina Mityaeva et la Suissesse Jasmin Nunige. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont l’air bien concentré. Tom Evans ne finira pas la course mais sera le seul européen à accrocher pendant longtemps les échappées chinoises dont certains courent le marathon sec en moins de 2h15′ ! Si si 2h15′. Les deux jeunes femmes se classeront quant à elles bien dans le top 10, respectivement à la 5ème et 6ème place, derrière une nuée de petites chinoises toutes plus rapides et frêles les unes que les autres.
Un départ de course sympathique, léger, bon enfant, sans pression, sans frime non plus.
C’est en dehors de la ville, dans un environnement vert, à l’abri du vent mais sur la route. Le ton est donné car, comme annoncé dans notre premier article, le parcours est à 70-80% fait de dur, de route, de béton, de marches, de goudron. Autant dire que c’est hard ! D’ailleurs, les coureurs élites portent quasiment tous des chaussures de route, et non de trail running. Notez-le, c’est important de s’en souvenir pour l’an prochain. Très vite, vous attaquez avec du dénivelé. Rien de méchant pour le moment. Regardez le petit film suivant du parcours en 3D et vous allez comprendre que la deuxième partie de la course, quand vous commencez à être déjà bien fatigué, voire épuisé par des heures de petites marches qui n’ont l’air de rien, est sans conteste la plus difficile. Aie !
Au début donc, la course est accessible, les points de vue sont franchement dépaysants et l’ambiance est à la fête. Ça grimpe, un peu, mais personne ne tire encore trop la langue. Vous passez des escaliers en pierre sur les sentiers, traversez des portions de route, vous voyez la mer de Chine, des lacs artificiels, un beau barrage, mais la ville de Hong Kong se refuse encore à vous. Il vous faudra patienter jusqu’à la dernière partie de la course pour avoir ces points de vue oh combien magnifiques sur celle-ci ; des points de vue qu’on vous avait présentés aussi dans notre premier papier : https://leblog.enduranceshop.com/hong-kong-star-cest-demain/. L’ensemble, malgré les routes et le bitume omniprésents, reste assez vert : vous êtes néanmoins en pleine nature et personne, ni voitures ni spectateurs, ne vient troubler cette première partie de course. Très vite, après quelques belles côtes qui font souffrir les moins entraînés, vous descendez sur des plages blanches et bleues. Il faut les traverser en long. S’enfoncer dans le sable à ce moment-là semble infernal mais c’est en fait très agréable. Bien sûr, on imagine que pour les élites, ce changement de surface casse le rythme, les jambes aussi, mais pour l’amateur qui n’a pas d’autre objectif que de finir la course, c’est du bonheur, rien que du bonheur. Une petite photo et ça repart.
La suite se corse un peu. Beaucoup. Il y a même de bons gros changements de rythme.
Toutes ces plages à traverser sont situées en première partie de parcours. Et puis vous allez traverser deux ou trois petits villages de pêcheurs. Ceux qui ont eu la bonne idée d’emmener un peu d’argent liquide pourront se payer un coca frais. Ce n’est pas interdit par le règlement de la course, même les bénévoles vous encouragent à le faire. No problem ! Ça y est vous êtes au premier vrai Check Point, au km 22. Au km 12, il y a un ravito, bien fait, mais léger. L’espace était étroit, au bas d’un grand escalier à monter pour vous emmener dans la montagne. Personne ne s’y arrête vraiment. On est tous encore frais. Pour arriver au CP2, au km 34, vous allez commencer à entrevoir ce que grimper veut dire à Hong Kong. Bien sûr, ce ne sont pas les Alpes et personne ne comparera cette course avec une épreuve de montagne. Bien sûr. Mais c’est justement le piège : toutes ces marches et ce petit dénivelé qui, mine de rien, s’accumule, commence lentement à se faire sentir. Vous êtes, en gros, monté deux fois : à environs 300 m autour du km 10 et maintenant à 400 m. Le problème ce n’est pas tant le dénivelé. Au CP3, vous aurez parcouru 1727m de D+. Le problème, c’est aussi la pente, les pourcentages. Ces montées sont raides, très raides, et le fait qu’elles soient recouvertes de marches, de marches, de marches….use vraiment les organismes. Et c’est pourquoi, sur cette Vibram® Hong Kong 100, l’utilisation des bâtons est hautement recommandé. Ils permettent classiquement de soulager les jambes en reportant une partie de l’effort sur le haut du corps.
CP3, CP4 : fini de jouer. Bienvenue dans la cours des grands.
Du CP3 au CP4, il est conseillé de s’alimenter, de souffler, de se refaire une santé. C’est maintenant que ça se gâte ! Peu après ce CP4, vous avez parcouru 51 km et 1870 m de D+. Vous êtes donc à la moitié du parcours qui compte 103 km. Les choses vont se corser et c’est là que les esprits et les corps les plus faibles vont se casser, et les abandons se multiplier. D’autant que la nuit ne va pas tarder à tomber. Fini le temps des pâtés de sable, bienvenue dans les montagnes russes : vous allez monter, descendre, monter, descendre….i-n-d-é-f-i-n-i-m-e-n-t. Indéfiniment et jusqu’à ce que cela ne vous fasse plus rire du tout. Et toujours ces satanées marches ! Pour ceux qui avaient eu la bonne idée de s’entraîner dans les escaliers avant de venir (si si c’est du premier degré : pour finir cette course en un seul morceau, pas de secret, il faut s’entraîner dans les escaliers), ça va bien se passer. Pour les autres, c’est moins évident. Pour nous qui étions dans la course, c’est à partir de ce moment-là, un moment clé psychologiquement que cette barre des 50 km, que les têtes ont commencé à tourner, que les esprit se sont troublés et que la motivation profonde a été rudement mise à l’épreuve.
De l’importance de s’entraîner la nuit.
C’est là, en pleine nuit, que vous réalisez si votre entraînement a été à la hauteur de vos ambitions. Alors bien sûr, les paysages sont merveilleux, d’autant que le soleil se couche, et la camaraderie si propre à l’ultra trail se met en marche et vous apporte du réconfort. Vous n’êtes pas là pour battre le voisin. Vous êtes là pour partager un moment fort, vous soutenir les uns les autres. Et l’avantage d’aller faire ce genre de course à l’étranger, c’est de pouvoir discuter avec des inconnus qui vivent au bout du monde. Ça ouvre l’esprit, ça instruit, ça repose car ça vous permet de penser à autre chose et d’avancer presque sans forcer. Presque. Vous vous rapprochez de la civilisation et les check points sont tous plus chaleureux les uns que les autres. CP5, 57 km parcourus et 2346 m de D+. 4 cols sont à franchir pour rejoindre, à peine 13 km plus loin, le CP6. Il fait nuit et vous ne voyez plus grand chose. La lampe frontale sur le front, vous entrez dans une autre dimension. Comme ces marches à répétition, l’autre versant de cette épreuve qu’est la Vibram® Hong Kong 100, c’est bel et bien la gestion de votre effort de nuit. Pour rappel, vous avez démarré à 8h du matin. Il est désormais 8h du soir, ou plus. Vous avez donc dépassé les 12h de course non-stop. Et ce n’est pas fini. Une des grosses qualités de cette organisation, ce sont ces check points, ces ravitaillements qui sont extrêmement bien organisés : feux de bois, plus de bénévoles que nécessaire, des lits de camps, des duvets, une tente chauffée à chaque fois, des boissons chaudes, ou froides, et de la nourriture locale de type pâtes et soupes qui font des merveilles aux organismes en difficultés et autres estomacs à l’agonie.
Dormir ou pas dormir ? Vomir ou pas vomir ? Comment gérer ses ravitaillements de nuit.
Chacun est différent mais il existe des règles très simples qui font la différence quand vous êtes en difficultés la nuit sur une grosse course comme celle-là, comme beaucoup de nos camarades coureurs que nous avons croisés cette nuit-là. L’adage populaire qui explique qu’il ne faut surtout pas s’arrêter longtemps aux ravitaillement sur un ultra car vous ne repartirez jamais, est à relativiser. Il n’est pas toujours juste, surtout si votre estomac fait de la résistance dans son coin, comme un vilain petit sagouin. S’asseoir, se poser, boire lentement, prendre le temps de digérer, goûter à autre chose, casser le rythme infernal de gestes répétitifs, boire une soupe chaude, un thé au gingembre, se réchauffer auprès du feu, parler à un bénévole pour se changer les idées et, pourquoi pas, s’allonger quelques minutes sur un brancard peut sauver votre course. Tout dépend du chrono et du cut-off bien sûr, mais faire une sieste de 20-30 min peut être une bonne idée – notre reporter l’a testé trois fois de suite sur ce parcours où il a mis…28h. Les plus grands marins le font. Pourquoi pas les ultra trailers ?
À partir du CP5, km 57 (et 2346 m de D+), cette course se transforme en enfer. Les paysages changent totalement. Vous n’êtes plus au bord de la mer mais à l’intérieur de l’île, sur les hauteurs, dans les forêts profondes, au bord des ruisseaux, sur des routes. Il y a des gens sur le parcours, beaucoup plus qu’avant. Les élites en ont terminé de leur côté, ou sont DNF, mais pour nous, les amateurs, il y a donc la nuit à affronter et ce sommeil qui ne nous quitte pas. Mais le plus dur, vraiment, ce sont ces enchainements de montées et de descentes. Ils ne finissent…jamais. Du CP6, km 70 et 3226 m de D+, au CP7, km 78 et 3688 m D+, rien ne change. Monter, descendre, monter, descendre. Là encore, vous bénissez vos bâtons car c’est dans les descentes que les cuisses ramassent. Mais le clou du spectacle se trouve après le CP8. C’est un mur qui se dresse face à vous. Un mur, vertical, et des marches. C’est une vision étrange, un cauchemar vraiment. Bien sûr vous avez fait le plus long et il s’agit maintenant seulement de ne pas craquer, de maintenir votre allure, d’être patient. Mais que c’est difficile. CP8 : 86 km et 3968 m de D+ réalisés. La descente sur le CP9, km 93 et 4565 m de D+, n’est pas simple, même s’il reste seulement 10 petits km à parcourir. Vous l’avez compris : ce parcours n’est pas roulant, du tout.
La course des élites n’a rien à voir avec la nôtre, les anonymes, les guerriers de l’impossible.
Les derniers 10 km sont dès lors le théâtre de bien des simagrées. Il y a les abattus qui n’en peuvent plus, les rageux qui veulent en finir, ce bitume qui nous fait toujours aussi mal sous les pieds, et puis la fille en pleurs à 6-7 km de l’arrivée, assise sur une grosse pierre. Si elle est bien arrivée quelque part, c’est au bout de ses forces la pauvre. Nous n’oublierons pas son visage, mouillé de grosses larmes chaudes. Pauvre choute. Chez les élites aussi, il y a eu de la casse, surtout chez les occidentaux. Beaucoup n’ont pas terminé. Pas beau à voir… Si l’été prochain ces Chinois décident de venir faire le coup de force sur l’UTMB®, la CCC®, la TDS®….ça va saigner ! La vague chinoise, et plus généralement asiatique, est en marche, n’en doutez pas. Et c’est un tsunami.
Conclusion
De notre propre expérience, pour terminer une course comme celle-là, il faut prendre en compte quatre éléments tous aussi importants les uns que les autres.
– Se préparer correctement : cela veut dire savoir à quoi s’attendre en termes de terrain et de climat et s’entraîner en conséquence (les escaliers, les escaliers, les escaliers…)
– Trouver une motivation personnelle forte qui va résister quand les corps et les esprits vont commencer à se dégrader (c’est la base de l’ultra-trail)
– Parler, adresser la parole aux coureurs qui vous entourent, que vous ne les connaissiez ou pas. C’est comme ça qu’on passe le temps. C’est comme ça qu’on atténue un peu sa souffrance. C’est aussi comme ça qu’on s’enrichit quand on voyage. Et c’est comme ça, pour finir, qu’on se fait des copains pour la vie.
– Ne pas se prendre trop au sérieux, ne pas se fixer des objectifs chronométriques ou de classements impossibles qui vont forcément nous mettre et nous remettre en situation d’échec.
– Commencer sérieusement à se faire à l’idée que les américains et les européens ne sont peut-être plus les plus forts à ce jeu de l’ultra trail.
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