
On vous décortique l’autre plus grand trail de France, part I
Par la rédaction. Photos © Cyrille Quintard
Gilles Bertrand est un personnage incontournable du running à la française. Organisateur de la grande course des Templiers depuis 1995, avec Odile Baudrier, un événement référence qui a clairement lancé la mode des épreuves du trail running dans notre pays, il est aussi journaliste et photographe, et tient notamment le très bon blog www.spe15.fr. Inspiré au départ par deux courses majeures américaines, Leadville et Western States, deux des plus anciennes courses de 100 miles au monde (la première née en 1983 se déroule dans le Colorado, la seconde née en 1977 se déroule en Californie), les Templiers donnent aujourd’hui lieu à un grand festival du trail running nommé le Festival des Templiers. Ce premier article d’une longue série qui va alimenter votre découverte de cette épreuve symbolique mais également vous aider dans votre préparation jusqu’en octobre – le Festival a lieu du 17 au 20 octobre prochain – est consacré au maître de cérémonie. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Gilles Bertrand sans jamais oser lui demander est là. Enjoy.
Le Blog Endurance Shop : Gilles Bertrand, à l’origine quelle était la motivation pour lancer cette épreuve, il y a 25 ans ?
Gilles Bertrand : Cela vient d’une passion pour la course à pied et de ma curiosité, de mon attirance pour les courses d’ultra. C’est comme cela que j’ai découvert le Leadville 100 puis la Western State Endurance Run en 1989, pour le magazine VO2 que je venais de créer. Ce fut le coup de foudre et en rentrant en France, j’étais certain que je lancerai une épreuve de ce type. Un premier projet, une liaison Millau – Mont Aigoual, aller et retour selon le principe du Leadville n’a pu aboutir en 1990. Et c’est en 1995 que nous avons pris la décision de créer les Templiers. Nous venions d’adopter un bébé au Tchad. Nous nous sommes investis auprès de cette petite ONG pour collecter des fonds au profit de celle-ci. Nous avions ce projet de course en sommeil dans un tiroir. Nous l’avons ressorti avec l’objectif de reverser les bénéfices. Et comme pour le Leadville, nous avons choisi le territoire des cités templières pour donner une dimension historique à l’épreuve.
Le Blog Endurance Shop : Comment expliquez-vous votre succès qui ne se dément pas encore aujourd’hui ?! La beauté des lieux ? La qualité de l’organisation ? Vos bénévoles ?
Gilles Bertrand : Oui, c’est bien sûr offrir un terrain de jeu exceptionnel, un environnement protégé. C’est aussi mettre en place une organisation rigoureuse mais qui, je l’espère, reste la plus humaine possible. C’est son encadrement. Lors des réunions bénévoles, je l’explique ainsi « c’est vous qui serez en première ligne avec les coureurs. Sachez les accueillir comme il se doit pour les chouchouter, les dorloter, les booster, les sécuriser ». Et puis c’est peut-être savoir parler au trailer, le faire rêver. Et surtout l’écouter en prenant le pouls de la course pour, si possible, rectifier les erreurs.
Le Blog Endurance Shop : Vous avez je crois 4 salariés à plein temps à l’année mais rappelez-nous combien de personnes sont dans votre organisation pendant l’événement ? Combien de bénévoles ?
Gilles Bertrand : Nous avons effectivement 4 salariés dans l’association organisatrice plus Odile Baudrier et moi-même pour assumer des missions de coordination d’ensemble des projets. Mais pour mener à bien l’organisation des Templiers, nous sommes épaulés, selon les années, par 35 à 40 associations locales dont de nombreuses associations de parents d’élèves, mais également des associations engagées socialement, prenant en charge chacune une mission précise. Cela représente au total 800 à 850 bénévoles sur l’ensemble des 3 jours de courses. A cela s’ajoute une équipe de 30 bénévoles à nos côtés depuis la création des Templiers. Ils sont pour la plupart chefs de poste autonomes sur de grosses missions à responsabilité.
Le Blog Endurance Shop : Corrigez-moi si je me trompe mais la lutte contre le dopage est un de vos chevaux de bataille (cf spe15.fr). Que mettez-vous en place concrètement sur le festival des Templiers pour continuer de vous inscrire dans cette lutte et en quoi le programme QUARTZ Event est par exemple une bonne chose pour un événement comme le vôtre ? C’est un programme que les gens qui ne sont pas élites ne connaissent pas forcément.
Gilles Bertrand : Odile Baudrier est effectivement très investie dans la lutte anti-dopage puisqu’elle gère et anime le site spe15 dédié aux problématiques de dopage. Mais bien avant cela, dès la création des Templiers, nous nous sommes engagés dans cette lutte. En 1997, nous avions organisé la veille des Templiers, un mini colloque sur le dopage avec la présence de Christophe Bassons qui est aujourd’hui l’un des coordinateurs de la lutte en France. Nous avons obtenu nos premiers contrôles fin des années 90. Et chaque année, nous nous sommes battus pour que l’AFLD délègue des contrôles sur nos épreuves. Une année, je suis même intervenu auprès du directeur des contrôles de l’AFLD pour avoir la certitude que nous aurions bien des prélèvements. C’est dans cette logique que nous avons adhéré au programme Quartz. Plus dans un souci de santé des athlètes que dans une logique anti dopage même si cette veille peut apporter des indicateurs sur l’auto-médicamentation ou, pire, sur la prise de produits dopants. C’est plus un instrument de prévention qu’un système répressif mais qui va dans le sens de notre démarche : garantir au mieux une pratique saine et respectueuse.
Le Blog Endurance Shop : Vous avez 14 courses différentes. C’est beaucoup ! Quel est le plus dur à gérer pour vous en tant qu’organisateur ?
Gilles Bertrand : Cette remarque, parfois sous la forme d’un reproche revient régulièrement « vous organisez trop de courses ». Certes, mais nous défendons l’idée d’ouvrir le trail au plus grand nombre. Et c’est un succès. Et je constate que ce principe d’offrir une grande variété de distances a été repris par la majorité des trails en France. Je me souviens encore d’avoir été interpelé par les gendarmes de Millau chez qui je venais pour signer ma convention : « Les Templiers, c’est trop long, vous ne pourriez pas créer une petite distance pour nous ? ». L’idée était bonne, c’est comme cela que nous avons lancé la Puma Trail baptisée ensuite la VO2 Trail longue de 18 km.
Le Blog Endurance Shop : Vous avez pour le moins le sens des titres. Franchement les noms de vos courses sont bien trouvés. Est-ce que la Boffi Fifty fait référence à Star Wars et son personnage de chasseur de prime Boba Fett ? Et Les Troubadours : d’où vient ce nom ? Même question pour La Belle de Millau et la Monna Lisa Trail : expliquez-nous ces choix.
Gilles Bertrand : J’ai une formation de géographe et j’ai toujours été passionné par la science de la toponymie. Je m’inspire donc des noms cartographiés avec lesquelles il est possible de jouer en apportant un peu de « poésie » dans un univers de plus en plus codifié et réglementé. Vous citez la Boffi Fifty, Boffi, c’est le nom d’une magnifique falaise d’escalade dominant la vallée de la Dourbie. Il suffisait de l’associer à Fifty pour 50 km en jouant sur la consonance de la seconde syllabe. Monna Lisa, c’est tout simplement le nom d’un hameau, non loin de la falaise du Boffi. Il n’y avait pas plus beau nom pour dresser un vrai tableau de trail.
Le Blog Endurance Shop : Si vous deviez donner quelques conseils aux participants de vos trois épreuves les plus longues, l’Endurance Trail (107,5 km et 4750 m+), le Grand Trail des Templiers (78 km et 3650 m +) et l’Intégrale des Causses (60,5 km et 2860 m +), que leur diriez-vous ?
Gilles Bertrand : Un seul conseil peut suffire : celui de s’entraîner à la hauteur de ces défis pour que ces aventures restent avant tout des plaisirs et non pas des chemins de croix. Les parcours sont tracés pour découvrir des lieux parfois majestueux parfois intimistes. Nos courses sont construites pour se fondre dans ces paysages, pour s’immerger dans de tels décors, pour tenter de comprendre comment l’homme a façonné bien avant nous cet univers. Il faut donc une certaine lucidité pour savourer. Il n’y a que l’entraînement qui peut apporter cela.
Le Blog Endurance Shop : Et pour vos épreuves plus courtes mais qui demandent quand même un engagement, le Marathon du Larzac (36,6 km et 1610 m +), Boffi fifty (51,4 km et 2620 m +), Marathon des Causses (38 km et 1840 m +) ?
Gilles Bertrand : Ce sont des distances certes plus accessibles sur le papier mais cela reste néanmoins de vrais défis. Avec l’émergence de l’ultra, l’univers du trail a banalisé les courtes distances. Mais courir un marathon trail, pour la majorité des coureurs, cela reste un grand défi personnel. Donc, j’en reviens au conseil donné à la question précédente, s’entraîner, s’offrir des week end trail pour se préparer au dénivelé et au tout terrain, prendre part à des courses intermédiaires pour acquérir cette endurance tout terrain, le tout avec progressivité, en respectant un équilibre de vie.
Le Blog Endurance Shop : Respecter un équilibre de vie, vous avez raison, c’est important et certain coureurs semblent parfois l’oublier. Emporté dans le plaisir de l’ultra, ils deviennent obsessionnels. L’onglet « règlement » n’est pas des plus visibles sur le site je trouve. Et puis quand je lis cela – « Pour des raisons de sécurité, à tout instant dans le déroulement d’une course inscrite au Festival des Templiers 2019, l’organisateur, les membres de la sécurité médicale et de la sécurité terrain se réservent le droit de venir en aide à un coureur sur le plan technique, sur le plan matériel et vestimentaire, sur le plan alimentaire » – je me dis que vous êtes plus dans l’aide que la sanction, même si vous prévoyez bien des pénalités plus bas dans votre règlement. Je trouve que c’est un point très intéressant. Chercheriez-vous en effet à éviter de tomber dans un carcan réglementaire rigide, trop rigide, peut-être éloigné des valeurs du trail running (la nature, la liberté, etc…) ?
Gilles Bertrand : Il existe grosso modo deux catégories de coureurs. Les leaders de la discipline, ils disputent les Templiers, quelque soit la course du Festival, pour la gagne, pour un podium scratch ou catégories d’âge, pour une place dans le top 10, top 100, pour le team auquel ils appartiennent. Et puis il y a les autres, trailers « loisirs », « populaires » pour la plupart hors fédération. Notre règlement, il s’applique essentiellement à la première catégorie pour garantir une totale équité. Pour le reste, bien sûr qu’il faut être souple, prévenant, accueillant, sécurisant si besoin. Nous sommes plus dans la prévention, dans l’accompagnement, dans le soutien pour que chacun, chacune puisse réussir le défi qu’il, elle s’est fixé(e).
Le Blog Endurance Shop : Vos pénalités pour « jet de détritus (acte volontaire) » ne sont que de 15 min max alors que d’autres courses sont beaucoup plus sévères, et avec raison selon nous. Mettez-vous en oeuvre d’autres actions concrètes pour la protection de l’environnement lors de votre festival et ne pensez-vous pas que les organisateurs devraient être plus sévères avec les coureurs pollueurs ?
Gilles Bertrand : Effectivement, là encore, nous sommes plus dans la prévention que dans la répression qui est, de toute façon, difficile à mettre en place sur de telles distances, en milieu naturel et en période nocturne. Nous donnons donc la priorité à l’information et non pas au flicage du peloton. Concernant le problème des déchets, ce fut une longue bataille qui, je pense, est gagnée. Autrefois, les fermeurs revenaient avec des sacs de déchets bien chargés. Désormais, ils ramassent ici et là un gel, un papier tombé d’une pochette et guère plus. Quant aux autres mesures de protection de l’environnement, nous travaillons en relation avec un Parc National, un Parc Régional et l’ONF. Je dirais qu’aujourd’hui, notre priorité s’est portée sur la limitation des déchets et leur tri sur les lieux de ravitaillement.
Le Blog Endurance Shop : Votre salon pré-course est important. Plus de 100 exposants : c’est un joli chiffre. Quel est le but ? Toutes les marques principales répondent présent ? Combien de visiteurs sont attendus ?
Gilles Bertrand : Le Salon du Trail a été créé car notre épreuve à son lancement était déficitaire. Nous nous sommes modestement inspirés du Roc d’Azur. Au départ, ce fut modeste avec une quinzaine de stands puis le salon a pris son envol à la hauteur du dynamisme de cette discipline. Aujourd’hui, c’est un salon au standing professionnel avec 25 000 visiteurs accueillant la majorité des opérateurs du trail running. Ce salon contribue au succès des Templiers car il renforce la notion de carrefour d’échanges, de communauté si précieuse dans l’univers du trail.
Le Blog Endurance Shop : La région et la ville de Millau est, à notre avis, un pôle intéressant et attractif pour la course à pied. Il y a notamment les 100 km de Millau et votre course, deux événements qui sont des monuments du running en France. Pourquoi Millau a-t-elle cette relation à la course à pied ? Est-ce l’équipe municipale qui est toujours très motivée ? Les gens de la région sont-ils particulièrement portés sur la course à pied ? Ce sont les paysages qui inspirent inlassablement les potentiels coureurs à pied ?
Gilles Bertrand : Autant les 100 km de Millau que nous mêmes, nous sommes bien sûr aidés par les collectivités. Mais la naissance de ces deux évènements tient avant tout à des volontés personnelles. Les 100 Bornes grâce à Serge Cottereau, le pionnier du 100 km en France et un vulgarisateur de génie, porteur d’une nouvelle idée de la course à pied, populaire et ouverte à tous. Quant aux Templiers, ils ont finalement été lancés sur la même idée, faire découvrir une nouvelle discipline et la rendre populaire. Dans les deux cas, ces deux courses ont connu un succès car cela correspondait à un besoin, un besoin d’aventures personnelles, d’explorer ses limites. Et de plus, nous avions à nos portes un cadre géographique et patrimonial exceptionnel avec nos vallées, nos grands causses. Aujourd’hui sur le bassin de Millau, nous avons une vraie dynamique course à pied avec un réservoir de 2000 coureurs, c’est unique pour une petite ville de cette taille.
Le Blog Endurance Shop : Que pensez-vous de l’hyper popularité de l’UTMB, devenu en une dizaine d’années la référence absolue du trail running dans le monde ?
Gilles Bertrand : L’UTMB, c’est un site exceptionnel, c’est une ville à forte attractivité internationale, c’est la capitale de l’alpinisme, c’est une montagne, le toit de l’Europe. Le cadre était posé pour une course d’envergure dont le tracé allait rayonner sur 3 pays. Puis ce fut un coureur, Kilian Jornet, qui lui a donné cette notoriété internationale parfaitement relayée par le partenaire de Kilian et par l’organisation elle même. Sans oublier la vision des organisateurs notamment avec la création de l’ITRA imposant des codes, des normes, fédérant le trail international autour de l’UTMB. L’UTMB, c’est la capsule Apollo de la fusée qui explore le monde du trail.
Le Blog Endurance Shop : Dernière question à propos de votre festival des Templiers, de quoi êtes-vous le plus fier ?
Gilles Bertrand : 25 ans, c’est toute une vie, durer ainsi avec le temps, édition après édition, c’est un challenge permanent pour dépasser, surmonter les difficultés que nous avons rencontrées dans un environnement local qui n’a pas toujours été compréhensif, parfois même hostile. Et puis nous avons su démocratiser le trail pour le rendre attractif à tous et toutes, quelque que soit le niveau de pratique. L’arche d’arrivée, nous l’avons baptisée « l’arche du bonheur ». Courir les Templiers et passer sous cette arche en bois symbolique, c’est offrir un instant de bonheur qui n’a pas de prix. Pour le coureur, mais pour nous aussi.
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