
Kilian Jornet et sa tentative malheureuse sur 24h
Par la rédaction. Photos © Salomon, Unsplash
Il voulait battre le record du monde de Yiannis Kouros sur 24h : 303,506 km courus en 1997 lors des 24-heures de l’Australian Championship d’Adelaide. Il n’a réussi à courir que 134,8 kilomètres en 10h20. Même pas la moitié. Les faits sont là. Attention : Kilian Jornet reste toutefois, c’est sans conteste, un héros du trail running mondial. Cet échec ne lui enlève rien de ses victoires écrasantes passées. Mais de deux choses l’une :
1) soit Kilian Jornet cherche à monter en puissance petit à petit et ses deux sorties successives sur le plat ne sont pas pour lui des « échecs » mais plus des expériences qui vont lui servir à engranger de la rage dans l’esprit nietzschéen de ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Pour rappel, le 17 octobre dernier Kilian avait couru l’Hytteplanmila, un 10 km réputé en Norvège où il vit en 29’59 ». Il avait ce jour-là terminé 18ème alors que son objectif était de toucher les 29’30 ». Ce n’était pas bien sûr un échec important. Mais pour son premier 10 km officiel, les critiques attendaient – peut-être à tort – un meilleur résultat. Le vainqueur avait couru en 28’20 ».
2) soit Kilian Jornet est en train de payer cher une volonté de toute puissance, irrespectueuse des autres disciplines et de ses illustres champions, les phénomènes Ingebrigtsen d’un côté, les Yiannis Kouros, Zach Bitter, Camille Herron et bien sûr Scott Jurek de l’autre (Scott Jurek avait à son époque brillé tant en trail running que sur la route – double vainqueur de la Badwater, triple vainqueur du Spartathlon, 7 fois vainqueur de Western States et également vainqueur de la Hardrock Hundred Mile Endurance).
Prions pour que la première solution soit la bonne et que Kilian soit à l’aube d’un second souffle professionnel spectaculaire.
Lors de ce 10 km en Norvège, Kilian avait déclaré sur sa page Instagram
« Je suis un peu déçu de mon chrono mais en revanche très content de tout ce que j’ai appris aujourd’hui. J’aurais aimé être capable de courir plus vite mais la blessure que je ressens depuis deux semaines avait besoin de plus de temps de repos. J’ai eu mal au tibia dès les premiers km ». Sur la piste à Måndalen, en Norvège, non loin de chez lui, l’opération s’est répétée : après avoir couru 134,8 kilomètres en 10h20, l’apparition de douleurs thoraciques aiguës et de vertiges l’a forcé à se retirer du projet qu’il préparait, selon Salomon, depuis près d’un an. Le défi Phantasm 24 avait été organisé par Salomon après visiblement le souhait de Kilian de courir un 24 heures sur une piste. Le défi avait d’abord été reporté une fois de près d’un mois en raison de la blessure dont nous parlons plus haut puis une seconde fois encore en raison du mauvais temps. Quant à ces nouvelles chaussures de course sur route Salomon nommées « S/LAB Phantasm », difficile de savoir si elles sont efficaces.
Kilian avait très vite laissé les quatre autres concurrents norvégiens derrière.
Il a en effet couru les 10 premiers kilomètres avec une moyenne de 4:16 par km et a terminé les 42,4 premiers kilomètres (106 tours) en 3h02’23 » secondes. C’est lors de son 338ème tour que Kilian s’est assis par terre et a été pris en charge par le personnel médical de la course. Voici ce qu’il a officiellement déclaré : « Je me sentais plutôt bien, avec des hauts et des bas classiques d’une longue course comme celle-ci. Mon corps se sentait bien, mes jambes se sentaient bien, et puis, tout à coup, j’ai ressenti deux douleurs intenses dans ma poitrine. J’ai commencé à avoir des vertiges et à être très épuisé. Les médecins sont venus me voir et m’ont dit qu’il valait mieux aller à l’hôpital. Une fois là-bas, ils m’ont fait des examens pour essayer de déterminer la raison de ses douleurs. Ils ne pensent pas que ça soit grave. J’ai eu cette idée de courir 24 heures sur une piste il y a environ un an. J’en ai parlé à Salomon pour m’aider à organiser cette course. J’aurais aimé que cela se passe différemment, mais cela est tout de même intéressant d’explorer différentes choses et de nouveaux projets. Je tiens donc à remercier Salomon et Suunto d’avoir soutenu le projet et tous ceux qui ont aidé à organiser l’événement : les bénévoles de la piste, à la communauté de Måndalen et aux gens du club d’athlétisme local. Je pense qu’il faisait plus froid pour les bénévoles que pour les coureurs ! ».
C’est vrai que les températures ont été plus froides que prévu pendant ce 24 heures (environ 0 °C voire moins), mais Jornet n’a pas vu cela comme un obstacle majeur.
Kilian Jornet encore : « Bien sûr, il faisait froid et les coureurs devaient porter plus de vêtements, mais je préfère ça à quand il fait très chaud. Je pense que sur le plan logistique, c’était plus un défi pour les organisateurs qui devaient mettre du sel sur la piste. J’avais prévu de faire le projet cinq ou six semaines plus tôt, mais au vu de mes blessures et des intempéries cela a dû être repoussé. De plus, avec la COVID-19, il aurait été très difficile de faire décaler la course ».
Seuls des athlètes vivant en Norvège ont participé à la course.
En plus de Jornet, cinq Norvégiens, tous des spécialistes des courses ultra-distance, étaient sur la ligne de départ à 11h vendredi matin. Seuls trois des six participants ont réussi à terminer les 24 heures. Harald Bjerke a couru le plus loin : 232,2 km (580 tours de pistes). « J’avais mal partout. Tout ce que je pouvais faire c’est de continuer à courir » a-t-il déclaré après coup. Jo Inge Norum a ensuite terminé second avec 219,2 km (548 tours). Simen Holvik termine troisième avec 208,13 km (520 tours). Autre performance à noter toutefois, celle de Sebastian Conrad Håkansson avec qui Kilian a couru et qui a lui parcouru 160 kms en 12 heures et 46 minutes pour battre le record norvégien du 100 miles (160 km) avant de s’arrêter. Il réalise précisément 161,2 km pour 403 tours.
La conclusion ?
Nous laissons pour cela la parole à Bruno Laroque, le directeur du marketing sportif mondial de Salomon : « C’était un risque énorme pour Kilian de se mettre dans ce nouvel environnement et nous sommes fiers de ses efforts et de l’incroyable détermination démontrée par tous les concurrents en Norvège. Merci à toutes les personnes qui ont rendu cela possible et à la communauté des coureurs pour tout leur soutien avant et pendant l’événement ».
Et pour ceux qui n’ont pas suivi la rapide discussion que nous avons eue avec un internaute passionné sur Internet, voici notre message posté après l’événement et l’échec de Kilian
« Spécialiste de l’ultra trail, sans conteste bien sûr (et l’un des deux trois meilleurs au monde avec Jim Walmsley et Scott Jurek peut-être – le débat est ouvert), mais certainement pas de l’ultra running dans son ensemble, Kilian reste humain et l’ordre des choses est respecté. Il fallait s’y attendre. Preuve que faire de l’ultra n’est pas facile. Un 24h sur piste c’est vraiment très spécial. C’est une épreuve qui se respecte. On le répète : Kilian n’avait aucune expérience de ce genre d’épreuve. Rajoutez à cela un record du monde qui tient depuis 1997 et appartient au maître absolu Yiannis Kouros et vous obtenez quoi ? Une mission impossible, un suicide annoncé. D’ailleurs, petit info intéressante et confession d’impuissance dans son dernier post Instagram avant de s’élancer où Kilian écrivait : « Je vais essayer de courir 24h consécutives ». Dans un post, il écrivait aussi : « Je n’arrive pas à imaginer ce que ça fait de courir aussi longtemps ». Ou encore : « Ça paraît incroyable qu’un être humain puisse courir une telle distance ! ». C’est dire à quel point il doutait de ses propres capacités à réaliser l’exploit ! Morale de l’histoire : ce qui ne tue pas rend plus fort et on peut donc espérer que Kilian Jornet reviendra faire de l’ultra sur le plat en commençant peut-être par des trucs plus « accessibles » comme les records du monde de Zach Bitter du 100 miles (11 heures 19 minutes 13 secondes) et du 12h (104.88 miles / 168,788 km) ou du 100 km du Japonais Nao Kazami (6h09’14 »). Le voir performer sur route ou piste aussi fort qu’il l’a été en trail ferait de Kilian l’un des plus grands coureurs à pied de tous les temps. Mais pour le moment, on en est loin. Tout le monde n’est pas Camille Herron (recordwoman du monde du 100 miles, 12h et 24h) ou Yiannis Kouros (toujours recordman du monde des 1000 km, 1000 miles, 24h, 48h et 6 jours). Cela dit, Kilian reste un phénomène adoré dans le monde entier. Nous lui souhaitons de se remettre de cette défaite au plus vite ».
Dont acte. Kilian, à la prochaine. Fais-nous encore rêver s’il te plaît.
Dans la même rubrique