Le marathon de Londres confirme son excellence
Revenons donc au cœur de la course
Tandis que le « roi » Kipchoge réalisait son triplé, Sir Mo Farah, l’ex-kid Somalien de Mogadishu naturalisé anglais, a fait vibrer ses fans britanniques en réussissant à dépasser des soucis de ravitaillements dans les premiers km et battre dans la foulée le record anglais du marathon longtemps détenu par Steve Jones. Rappelons aussi que Mo Farah a aujourd’hui quitté Portland, l’Oregon Project et Alberto Salazar et est désormais entraîné, en partie en Éthiopie, par…Gary Lough. Qui est Gary Lough ? Le mari de Paula Radcliffe. Et oui
Mo Farah se classe donc finalement troisième derrière l’Éthiopien Tola Shura Kitata. Avec cette victoire, Eliud Kipchoge rejoint donc son compatriote Martin Lel ainsi que le coureur mexicain Dionicio Ceron parmi les trois seuls hommes à avoir remporté le titre londonien à trois reprises. La semaine qui a précédé l’événement, Eliud Kipchoge avait déclaré : « Gagner ici une troisième fois serait la plus grande performance de ma carrière et ferait de moi l’homme le plus heureux de la planète ». On imagine quand même que passer sous les deux heures serait, en réalité, la plus grande performance de sa carrière. Quel petit farceur ce Kipchoge !
Notre agriculteur de Kapsisiywa, au Kenya, a donc défendu bec et ongles son record personnel réalisé à Londres il y a deux ans, sans toutefois parvenir à faire moins. Ce record, 2h03’05 », c’est aussi le 3ème meilleur temps mondial. Ajoutons que, malgré une chaleur peu agréable dans la capitale londonienne dimanche dernier pour performer sur ce type de distance, maître Kipchoge a aussi remporté une neuvième victoire sur cette distance du marathon avec ce chrono de 2h04’17 » ; c’est le 28ème temps mondial. « Je suis venu pour faire une belle course et c’est exactement ce que j’ai fait. Merci Londres » s’est-il empressé de témoigner avec émotion après la course.
A mi-parcours, le champion olympique est passé au semi-marathon pile sur le chrono prévu, à 61 minutes exactement.
Kipchoge a ensuite ralenti son allure avant d’accélérer en fin de parcours et anéantir ainsi les espoirs de son jeune rival. Eliud Kipchoge passe la ligne tout sourire, une de ces marques de fabrique. « J’ai ralenti à la fin mais que voulez-vous ? C’est le sport » a-t-il alors déclaré à la presse. Il a ajouté : « J’ai vraiment beaucoup aimé cette course, toute la course. Il me fallait gagner, alors je m’en suis donné les moyens et je me suis vraiment battu sur les derniers km ».
L’autre phénomène de la course, c’est Mo Farah.
À 35 ans, l’anglais Mo a largement été à la hauteur de tous les espoirs que la nation anglaise avait placé en lui. Il franchit la ligne en 2h06’21 », presque une minute de moins que le record national de 2h07’13 » de Steve Jones, et monte ainsi sur la 3ème marche du podium, 20 ans exactement après avoir lui-même remporté le mini-marathon de Londres quand il était adolescent. Pendant la course, Mo Farah est bien entendu resté au contact des meilleurs mais ses soucis de ravitaillement en début de course et au 20ème km ont quand même eu pour conséquence de le ralentir. Il s’est alors retrouvé seul dans la presque totalité des 12 derniers km. Il franchit ensuite la ligne, le ventre vide, au bord de l’épuisement. On imagine sans peine que face à Eliud Kipchoge la bataille a été rude, même pour un quadruple champion olympique (5000 et 10 000 à Londres en 2012 et Rio en 2016).
Notons que Mo Farah est également le premier athlète britannique à gagner une médaille au marathon de Londres depuis un certain Paul Evans en 1996. « Il fallait le faire. C’était un match à mort. J’ai été aussi vite que j’ai pu » a-t-il déclaré heureux après l’événement. Il a poursuivi dans ses explications : « Les autres sont partis très très vite, à une vitesse de record du monde. J’ai décidé de suivre. J’étais prêt à mourir. Je me suis vraiment dit ça dans ma tête : j’y vais et si je dois mourir et bien soit. Au final, avoir un record national et être sur le podium franchement c’est difficile de vouloir plus ».
Quant à l’éthiopien Kenenisa Bekele, le deuxième marathonien le plus rapide de l’histoire (2h03’03 » à Berlin en 2016) il était, sur le papier, l’athlète sur lequel les commentateurs de tous les pays comptaient pour aller logiquement défier Eliud Kipchoge sur ses terres. Il est vrai que l’an passé, le « king of the world » avait été battu. Malheureusement pour lui, Kenenisa Bekele n’était pas si en forme. Il flirtait certes avec la tête de course en début de parcours mais « s’écroulait » très vite et finissait par franchir la ligne en 6ème position, et en 2h08’53 », aux côtés du champion sortant Daniel Wanjiru. Kenenisa Bekele avait avant la course déclaré craindre la chaleur. Quand les élites se sont élancés à toute vitesse derrière leurs lièvres, à qui il faut bien rendre hommage (Gideon Kipketer, Edwin Kiptoo, Morris Gachaga et Silas Kipruto) ses peurs se sont bel et bien concrétisées. Aie.
Pour se protéger des rayons du soleil, Eliud Kipchoge portait une casquette blanche sur la ligne de départ. Bien entendu, dès le début de la course, le plus rapide de toute l’histoire du marathon de Londres, il s’en est séparé. Les écarts entre les top élites se creusaient rapidement et nous étions tous logiquement en droit de nous demander si la patience et la prudence que l’on recommande souvent aux amateurs sur ces longues distances était un mot d’ordre auquel adhéraient ces champions. En prenant tout de suite le lead, Eliud Kipchoge s’est retrouvé entouré des meilleurs africains de l’Est : il y avait là le double champion du monde (2009, 2011) Abel Kirui, un kenyan, le champion en titre Daniel Wanjiru, un autre kenyan, l’éthiopien Bekele et ses comparses Guye Adola et donc ce sacré Tola Shura Kitata, champion 2017 du marathon de Francfort, en Allemagne.
Au km 5, ce groupe de tête passe en 13’48 »
Ces allures folles étaient 28 » de moins que la course londonienne la plus rapide de Kipchoge en 2016, quand il avait réalisé 2h03’05 ». Les athlètes étaient sur un chrono final d’1h57′. Hallucinant ! Ce départ n’était donc pas sans rappeler celui des femmes, elles aussi parties très vite, trop vite pour beaucoup de favorites comme nous l’expliquions ici : https://leblog.enduranceshop.com/de-toute-beaute/. Quand à la température, elle avait également bien entendu monté d’un cran au fil de la course mais cela ne semblait pas les gêner, pour le moment du moins. Encore un mot sur Mo Farah : l’anglais se tenait un peu à l’écart, en bout de ligne d’une longue liste de poursuivants, aux côté de Bedan Karoki, le kenyan qui avait terminé 3ème l’an passé.
Le peloton de tête passait alors le km 10 en 28’19 ». C’est là que Farah a commis une première erreur. En arrivant au ravitaillement, il se trompe de bouteille et doit revenir en arrière quelques précieuses secondes plus tard pour, cette fois, attraper la sienne. Il passe ensuite d’autres petites secondes à parler à un officiel à moto pour le prévenir que l’ordre des bouteilles des élites sur les tables n’est peut-être pas le bon, ou que ses bouteilles ne sont pas aussi bien placées que celles des autres. L’incident semble ensuite clos.
Pendant ce temps, Kipchoge reste sur ses allures de moins de deux heures. Son compatriote Abel Kirui est à ses côtés, à la même hauteur. Si Mo Farah semble lutter, Eliud Kipchoge reste serein. Il gère la course et rien ne parait pouvoir le perturber, et encore moins l’arrêter. Quand les lièvres, les « pacers » passent le km 15, la vitesse s’est un peu réduite et le chrono affiche 43’05 ». Le chrono final est alors estimé à 2h02′. La vitesse reprend alors de plus belle et le premier groupe passe le semi en 61′, les lièvres réglés comme des métronomes, restant pile dans les temps prévus avant la course, presque à la seconde près.
Mo Farah avait toujours expliqué que faire tomber le record anglais détenu par Steve Jones était un de ses objectifs sérieux.
Avec ses étonnants brassards jaunes vifs, personne ne pouvait manquer de visualiser ses efforts. Farah passe le semi en 61’03. Il est devant le chrono de Jones, 61’43 » à l’époque. Au ravitaillement du km 20, un nouveau problème survient : Mo Farah fait tomber son bidon. Eliud Kipchoge ne change rien. Il n’a pas ce genre de soucis. Les pacers ralentissent. Ils sont à bout. Le champion Kenyan n’est en rien perturbé. Il est chassé par les plus grands noms du marathon mondial. Mo Farah parvient malgré tout à rester au contact. C’est un peu la bagarre. Farah est maintenant aux côtés de Tola Shura Kitata, sur les talons de Kipchoge. Karoki, lui est à 20 mètres en arrière et Kenenisa Bekele encore 50 mètres plus loin, un peu à la dérive donc, aux côtés de Daniel Wanjiru. La foule réalise bien ce qui est en train de se passer et rares sont les locaux qui, à ce moment-là, n’espèrent pas une victoire de Farah. Mais on approche de la fin de course et personne mieux que les Kenyans et les Éthiopiens savent gérer ce genre de moment. Surtout qu’Eliud Kipchoge ne ralentit pas d’un poil. Il maintient au contraire son allure avec force, et la beauté d’un fauve.
Tola Shura Kitata est collé dans le dos de Kipchoge
Au km 30, près de Canary Wharf, ils passent en 1h27’24 ». Farah s’accroche mais est à 7 » derrière. Il lui reste 12 km à parcourir, seul. Kipchoge et Kitata passent quand même ensemble le km 35 en 1h42’33 ». Ils sont désormais loin du record de Kipchoge sur ce parcours mais peu importe. Sous le dernier pont, la fraîcheur semble donner encore plus des ailes à Kipchoge. Kitata finit par craquer. C’est vrai que la chaleur est difficile à supporter. Kipchoge est désormais 20 mètres devant. C’est ici qu’il avait placé son attaque deux ans auparavant, face à Stanley Biwott. Kipchoge rejoue là sa partition et à la perfection. Il est seul en tête désormais. Il longe la Tamise, passe devant Big Ben, tourne autour de St James Park. C’est la fin.
– « Si c’est le succès qui vous attire, alors vaincre n’est pas une simple option, c’est une nécessité ». Boum ! Comme dirait Mo Farah.
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