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La tête de l’architecte

Photos de Christophe Guiard, D.Lefevre et Gaël Couturier.

Les courses verticales sont en pleine croissance partout dans le monde. En 2014, 100 000 coureurs ont en effet participé à une course de ce type. Pour la Verticale de la Tour Eiffel® du 16 mars prochain, Jean-Charles Perrin, le papa de l’Eco Trail, en est l’architecte, le penseur et le marketeur voire le génial publicitaire (si si vous allez voir!). L’ancien sales manager de Danone n’en est donc pas à son coup d’essai transformé, d’autant qu’il est aussi derrière pas mal d’évolutions concernant l’UTMB et le fameux (ou l’infâme) Ultra Trail World Tour. Parce qu’on aime bien l’homme et ses concepts un peu fous à tendances révolutionnaires, mais aussi parce que « qui aime bien châtie bien », nous abordons ici deux ou trois points clés concernant sa Verticale à lui. Moment de vérité et interview sans fard. Miss France en sus – et sans jeux de mots.

Running Café : Franchement, comment vous pouvez justifier le fait de faire venir 40 coureurs élite dont on sait pas trop d’où ils viennent d’une part mais surtout qui piquent 40 slots à des coureurs anonymes amateurs qui essaient de s’inscrire et se font refouler parce qu’ils n’ont pas été tirés au sort ? Votre concept de course à la Tour Eiffel est extra, j’avoue, mais là ces 40 mecs dont tout le monde se fout est-ce que ça ne gâcherait pas un peu la fête quand même par hasard ?

Jean-Charles Perrin : Mais cette course est presque devenue un championnat du monde ! Pourquoi ? Parce que les meilleurs du monde sont là. Une fois que tu t’es dit ça, tu te retrouves à refuser des athlètes de haut niveau ET des coureurs anonymes, quasiment dans la même proportion. Il faut savoir que cette année par rapport à l’an passé on a rajouté 28 dossards seulement pour les coureurs anonymes.

Running Café : Bon OK mais alors j’espère qu’au moins la course passe à la télévision ou à la radio en direct pour faire vivre l’épreuve aux gens. Est-ce le cas ?

Jean-Charles Perrin : L’épreuve est passée en direct sur Eurosport les deux premières années, oui. A l’heure actuelle, on est encore en discussion avec eux pour une diffusion live en mars prochain. Le principe c’est de laisser l’exploitation se faire sur les deux premiers étages car on ne ferme que le dernier étage. Donc le public peut venir voir passer les coureurs dans les étages, en achetant leur billet pour la Tour Eiffel comme un jour normal. J’ajoute que nous avons prévu des animations, avec notamment des écrans géants, pour que les gens puissent venir vivre plus facilement la manifestation, même s’ils ne prennent pas part au départ. Il y a toujours un paquet de touristes qui sont là sans comprendre ce qui se passe et c’est un moyen pour nous de mieux leur faire vivre la manifestation.

La verticale de la Tour Eiffel

Running Café : Et ces athlètes élites alors, pourquoi ils viennent sur cette course : pour le prestige, pour la Tour Eiffel, pour l’argent ?

Jean-Charles Perrin : Il n’y a pas d’argent en jeu. Ils viennent pour la gloire. Véridique. J’ai discuté avec les athlètes qui ne font que ça, ceux qui gagnent les courses et traversent la planète toute l’année de Shanghai à Bratislava en passant par New York pour faire ce genre de courses dans des buildings modernes mais fermés, souvent dans des escaliers d’évacuation qui ne sont pas ouverts au public. Avec cette course dans la Tour Eiffel, on leur donne l’opportunité unique de gravir un bâtiment que tout le monde connaît et dans des conditions ultra privilégiées sur des étages qui sont habituellement fermés au public. Au jour d’aujourd’hui il n’y a que 161 personnes qui ont participé à cette épreuve. C’est dingue non ? L’attrait de la course repose là-dessus. La Tour Eiffel a deux principes fondamentaux auxquels on ne peut pas déroger qui sont l’exploitation et la sécurité. Il fallait donc qu’on monte quelque chose qui ne perturbe pas son exploitation et qui soit archi-sécuritaire. Quand j’ai commencé à monter le dossier pour démarcher des gens de la Tour Eiffel en 2008, j’ai étudié ce qu’étaient les courses d’escaliers : un coup de corne de brume et sauve qui peut c’est la bousculade à travers une porte de 90 cm de large ! Nous avons construit un schéma complètement différent. Notre départ se fait un par un en contre-la-montre mais, comme les responsables de l’exploitation de la Tour nous demandent de faire court, et qu’on ne veut pas non plus terminer au bout de la nuit, on a créé un format compact où tout est plié en deux heures de temps. Et puis questions nombre de participants, on a maintenant trouvé notre rythme de croisière : on en avait 60 la première année, maintenant 128 et dorénavant on aura un participant de plus par année d’ancienneté de la Tour ; participant anonyme et pas élite, je précise. C’est pas beau ça ?

« Tirage au sort pour tout le monde ! Tu as autant de chance d’être tiré au sort si tu es français, japonais, mexicain, indiens ou américains. Pour les élites, on étudie les dossiers avec un comité d’experts qui instaure trois catégories : « les indispensables », les « pourquoi pas » et les « on voit pas pourquoi »

Running Café : C’est fort. J’avoue. Mais j’en rajoute quand même une couche : quid des 10 coureurs sélectionnés par l’organisation ? C’est qui ? C’est quoi ? Pourquoi ? ça sent le coup fourré Jean-Charles Perrin invite ses potes ou des VIP qui, de toute façon, ont toujours des passe-droits et des dossards gratos. Non ?

Jean-Charles Perrin : Non. Pas du tout. On n’est pas du tout dans ce schéma-là car il n’y a pas de dossard gratuit chez nous. Le principe, c’est de dire qu’il y a des gens dans la vie et dans le sport qui ont des belles histoires et quand nous pouvons en être le relais, ça nous va bien. Quand l’an passé on avait un gars qui voulait faire l’ascension du Mont-Blanc le matin et l’ascension de la Tour Eiffel le soir parce qu’il soutenait une association de lutte contre la mucoviscidose, et bien on le soutient et on lui permet de s’inscrire. Quand tu as un unijambiste qui te dit qu’il veut le faire et qu’il en est capable en moins de 20 minutes, on étudie le truc et on décide d’y aller. Idem avec une américaine qui est revenue d’un cancer. On la prend. C’est ce type de projet qu’on supporte. On reçoit environs 160 dossiers et on sélectionne les histoires qui sont les plus emblématiques, qui ont le plus de contenu.

Running Café : Et quand tu habites au bout du monde, tu peux venir faire la course au même titre qu’un parisien ou bien tu as instauré des quotas par pays comme sur l’UTMB ?

Jean-Charles Perrin : C’est tirage au sort. Tirage au sort pour tout le monde. Donc tu as autant de chance d’être tiré au sort si tu es français, japonais, mexicain, indien ou américains. Pour les élites, on étudie les dossiers avec un comité d’experts qui instaure trois catégories « les indispensables », les « pourquoi pas » et les « on voit pas pourquoi ». C’est aussi simple que ça. On a vu parfois des candidatures où on s’est vraiment demandé pourquoi : le mec il est champion de son immeuble alors il s’inscrit en élite. Bon, OK. Non, il faut être sérieux. On a quand même 165 athlètes qui sont inscrits en tant qu’élite et qui méritent ce titre. Dans ces 165, y’a pas de charlot. Et tout le monde paye son dossard. Y’a un euro par dossard qui part dans la gestion de ces dossiers de présélection et les 9 euros restant de la préinscription sont intégralement versés à l’association des Miss France, les bonnes fées (lesbonnesfees.fr), dont le rôle est de financer des projets pour des gens en difficultés.

Running Café : Il est fort. Il arrive à mettre des bombes de chez Miss France dans son concept de course à pied sur la Tour Effeil. Camille Cerf en 2015 et Iris Mittenaere, Miss France 2016. Pas mal JC Perrin.

Jean-Charles Perrin : Mais elles étaient très contentes de participer ! Pour continuer de répondre à votre question précédente, je répète que le tirage au sort est vraiment intégral. Si tu t’inscris en Elite et que tu es retenu, tu payes tes 50€ et voilà. Si tu n’es pas retenu, tu es rebasculé dans le tirage au sort général, pour lequel, effectivement, on a pris 78 personnes. Mais je précise que tout cela se fait sous contrôle d’un huissier ! Ça m’a coûté 1000€ cette histoire d’huissier justement, mais je l’ai fait pour éviter qu’on vienne me dire que j’ai pris mes copains. J’ai plus de copains que je prendrai de mecs alors on s’en serait pas sorti vous voyez ! Je plaisante.

« T’as pas besoin d’être milliardaire, tu as juste besoin de courir très vite ou d’avoir un peu de chance et nous te donnons l’opportunité d’aller courir dans le ciel »

Running Café : Tiens et bien vous tombez justement à point puisque cette réflexion sur l’huissier m’amène à ma question suivante : depuis tout à l’heure vous parlez de préinscription, de tirage au sort, d’huissier…pffff, ça a l’air bien compliqué cette affaire pour s’inscrire à une course à pied. Est-ce qu’on est pas là pile dans un truc à la « Jean-Charles Perrin » qui commence à saouler tout le monde comme avec l’UTMB et le système des points ? Est-ce vraiment l’esprit de ce sport, la course à pied d’avoir des inscriptions aussi compliquées ? De toute façon, je fais ce que je veux : il n’y a pas de règlement qui va m’empêcher de monter les 1665 marches de la tour Eiffel en courant…si ?

Jean-Charles Perrin : Si, justement. Pouvoir organiser une course de l’ascension complète de la Tour Eiffel impose certaines contraintes. Et une des contraintes c’est d’être dans une obligation de succès, ou de résultat, tu appelles ça comme tu veux. Sinon tu ne reviens pas l’année d’après. Je vous donne un exemple : l’an passé on s’est battu pour accepter l’unijambiste dont j’ai parlé tout à l’heure et qui voulait à tout prix faire la course. On l’a accepté et ça s’est très bien passé. Mais avant d’en arriver là on s’est retrouvé face à des gens, les responsables de l’exploitation de la Tour, qui nous ont raconté l’histoire d’un autre unijambiste qui avait voulu courir lui aussi en haut de la Tour et avait prévu de le faire en 50 minutes. Ils avaient accepté et le type a couru, en petit comité. Personne n’en a parlé. Mais le mec a mis 9 heures et demie. 9 heures et demie ! Ce qui veut dire que pendant 9 heures et demie, il a monopolisé deux personnes de la sécurité qui étaient bien entendu sensées faire autre chose. Nous on a eu l’autorisation de faire courir notre unijambiste mais avec la condition que ça ne dure pas deux heures. Et on l’a fait. Une des premières conditions qu’on a mises aux inscriptions c’est donc d’avoir au moins des gens qui pratiquent le sport, qui ne vont pas mettre 9 heures à monter. C’est pour cette raison qu’on a mis des barèmes d’inscription avec preuve de résultat à nous fournir pour valider sa préinscription. Quand tu as fais une course à pied, tu es capable de nous justifier de ta performance et dans ce cas tu es éligible chez nous. C’est simple. Après, la complexité du truc c’est que je ne peux pas accepter 5000 personnes sur l’épreuve, pour des raisons évidentes de sécurité. Et donc si on ne met pas de contraintes dans le processus d’inscription, on va se retrouver avec 10 000 candidatures. Et là c’est pas gérable. Avec notre modèle, on en a eu 400 l’an passé et 600 cette année. Moi, en tant qu’organisateur, je n’ai pas de satisfaction particulière à rejeter 80% des gens qui sont candidats. Donc c’est pas un truc « à la Jean-Charles Perrin je ne sais quoi » comme vous dites, c’est un truc qui repose sur le bon sens. Il faut des gens préparés d’une part, et d’autre part que je sois, moi avec mes équipes, en mesure de faire les choses de la manière la plus pure possible, pour éviter que certains viennent se plaindre. D’où l’huissier que je me suis imposé de prendre. Ça prouve que les gens ont tous la même chance de pouvoir participer à la course à partir du moment où ils rentrent dans les cadres. Voilà, t’as pas besoin d’être milliardaire, tu as juste besoin de courir très vite ou d’avoir un peu de chance et nous te donnons l’opportunité d’aller courir dans le ciel. Il faut savoir que j’ai mis 8 ans à convaincre les responsables de la Tour Eiffel et ça a tenu à une réflexion du DG dans une réunion où je lui ai renvoyé la balle plus vite qu’il pensait qu’elle allait lui revenir.

Running Café : Ah ouais, c’est marrant ça, on peut savoir ce que vous vous êtes dit ?

Jean-Charles Perrin : il était en train de me répondre qu’on pouvait faire la course dans un tas d’autres bâtiments et qu’on avait donc pas besoin de la Tour Eiffel moi je lui ai répondu que j’en avais justement rien à faire des autres bâtiments. Que la seule tour qui m’intéressait c’était la Tour Eiffel justement mais que si lui ne voulait pas la faire la course, et bien moi je n’allais pas m’amuser à faire une simple course d’escaliers ailleurs ! Je crois que ça l’a fait marrer et il a dit banco. Bon, il m’a mis plein de contraintes, comme pour faire arriver l’Eco Trail en haut du premier étage de la Tour Eiffel, mais je les ai acceptées. Après, les gens adhèrent ou pas au projet et moi je n’oblige personne à faire la course. Mais je trouve ça d’autant plus sympa cette course qu’on est la veille de l’Eco Trail que qu’on mélange donc des mecs qui courent dans des escaliers avec des mecs qui rêvent de grands espaces. Voilà, les règles, elles viennent de là, d’une spécificité du bâtiment. Et pour finalement répondre à votre question sur l’existence d’un règlement qui permettrait ou pas de courir en temps normal les marches de la Tour Eiffel j’ai une réponse toute simple : personne n’a accès aux escaliers après le deuxième étage. Ils sont fermés au public.

Ecotrail d'Oslo

« Ce qui m’intéresse c’est l’exceptionnel. Faire une course d’escaliers dans un immeuble c’est pas exceptionnel. Ça ne m’intéresse pas. J’ai fait les 20 derniers étages de l’Empire State Building à New York avec le DG. Pas ma tasse de thé ! »

Running Café : Très bien. On peut imaginer que vous fassiez d’autres courses comme ça en France ou à l’international ? Un peu comme vous êtes en train de faire avec les Eco Trail puisqu’il en existe maintenant à Bruxelles, à Madère, Madrid, Oslo et Stockholm ? Hein, avouez Jean-Charles Perrin !

Jean-Charles Perrin : Il y a déjà un circuit de course de tours en France mais ça moi ça m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est l’exceptionnel. Faire une course d’escaliers dans un immeuble c’est pas exceptionnel. Je m’en fous. J’ai fait les 20 derniers étages de l’Empire State Building à New York avec le DG. Pas ma tasse de thé ! Ça n’a rien de glamour. Mais la Tour Eiffel ce n’est pas la même chose, c’est en plein air et tu te sens le dieu du monde quand tu montes là-dessus. Mais pour des bâtiments dans le reste du monde je ne dis pas non. Vous me connaissez bien. Il y a plein de trucs possibles. Après, est-ce qu’ils se font ou pas, ça dépend d’un certain nombre d’illuminés comme nous, certainement. J’ai des trucs dans les cartons, oui, maintenant je ne sais pas quand ça va se réaliser.

Running Café : Allez, je suis sûr moi qu’avec les Miss France à l’export ça va cartonner votre affaire. Merci d’avoir répondu à nos questions et bonne chance avec les filles…je veux dire avec la Tour. Enfin c’est pareil.

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