
L’état du running aux USA. L’avis de Brian (part 1).
Par la rédaction. Photos : Unsplash
Nous avons réalisé il y a quelques semaines l’interview de Brian Metzler*, l’un des journalistes Américains outdoor parmi les plus talentueux mais aussi les plus prolixes. Brian Metzler est logiquement considéré comme un membre important des rédactions du groupe Outside, dont le magazine éponyme. Mais c’est aussi un copain de notre rédacteur en chef Gaël Dutigny, lui-même expatrié aux USA. C’est donc en toute amitié et surtout en toute franchise que ces deux connaisseurs des sports outdoor en général et du running en particulier lancent la série intitulée : L’état du running aux USA. Il y a les versions vidéo en anglais sur YouTube (line à la fin de l’article) et les versions texte résumé en français sur ce Blog. Vous devriez bien en tirer quelque chose #sauvages.
Gaël Dutigny : La question la plus importante du moment à propos de Jim Walmsley est une fois de plus celle-ci : a-t-il les moyens physiques et mentaux pour s’imposer à Chamonix l’été prochain ?
Brian Metzler : Jim Walmsley est un coureur fascinant. Très motivé, presque obsédé par l’UTMB. Il était certes un bon coureur universitaire mais une des raisons de ses succès internationaux aujourd’hui, c’est son entêtement, son tempérament. Ce mec ne lâche rien. Le problème qu’il a néanmoins avec l’UTMB, c’est qu’il n’est pas le seul à vouloir s’imposer. Certes Jim a passé du temps ces dernières années en altitude à Silverton, dans le Colorado. Il a aussi fait quelques belles sorties sur le parcours de la Hardrock où il a essayé dans le passé de faire un FKT en solo ; sans succès. Il y a aussi eu cet étonnant aller-retour « Rim to Rim to Rim* » dans le Grand Canyon dont Jim détient toujours le record : 42 miles en 5h55’20’’ (en “supported” et donc avec assistance). C’est moins de 26 minutes que l’ancien record de Rob Krar (6h21’47’’ en 2013, “supported” là aussi). Jim Walmsley a la vitesse pour lui mais il n’a pas encore atteint la perfection dans le domaine de la stratégie et sans doute aussi dans celui de la nutrition. Les trois ou quatre derniers cols du parcours de l’UTMB sont dévastateurs. Si vous partez trop vite, ils ne pardonnent pas. Alors oui Jim a tout le potentiel. Il était d’ailleurs très bien entraîné cet été. Et oui il peut bien sûr gagner l’UTMB 2023. Est-ce qu’il le fera ? C’est la question. Mais n’est-ce pas aussi pourquoi cette course reste si intéressante ?
Gaël Dutigny : Faisons le point sur l’autre Américaine qui nous fascine : Courtney Dauwalter. Dans les courses longues et de montagne en altitude, elle est un cran au-dessus des toutes meilleures. Pourquoi ? Comment fait-elle ?
Brian Metzler : Courtney a grandi en faisant du ski de fond, ce qui pourrait expliquer la puissance qu’elle semble développer avec ses jambes, mais c’était dans le Minnesota, un état beaucoup plus plat que les vrais états de montagne comme le Colorado ou même la Californie par exemple. Courtney a en réalité un talent que peu possède : un état d’esprit et un mental qui reste en permanence positif. Elle est drôle, elle est toujours de bonne humeur, elle sait relativiser. Ce que Courtney sait aussi très bien faire, c’est continuer à avancer quand ça ne va pas. Et puis, bien sûr, elle passe quand même aussi beaucoup de temps en montagne, ce qui joue aussi un rôle important et nous renvoie à la problématique soulevée plus haut par Jim Walmsley.
Gaël Dutigny : Changeons de sujet : Jamil Coury est THE organisateur Américain qui compte aujourd’hui dans le trail running outre-Atlantique. Tu le connais ? Qu’en penses-tu ?
Brian Metzler : Jamil a en effet réussi à capter ce qu’est le trail running pour tout à chacun, des élites aux coureurs amateurs. C’est un créatif et un coureur de talent qui, avec ses équipes dont son frère, a bien cerné le business qu’est le trail running et l’ultra running. Jamil en effet un organisateur et un businessman de grand talent. Son épreuve phare en Arizona, la Javelina Jundred, est devenu en quelques années une référence Américaine mais aussi internationale. Il m’impressionne tout autant que toi Gaël.
Gaël Dutigny : C’est le premier des deux sujets qui fâchent : le problème des inscriptions aux courses les plus importantes du monde que sont Hardrock, Western States et UTMB.
Brian Metzler : Je connais bien la course Hardrock car elle se déroule chez moi dans le Colorado. Même si je n’y ai jamais participé, j’ai souvent été la voir comme simple spectateur ou comme reporter, et puis pour soutenir des amis qui étaient engagés aussi. Le problème avec Hardrock selon moi c’est que la course se déroule sur des terres qui sont publiques et que la course utilise une part de fond qui eux aussi sont public. Pourtant, les organisateurs en ont fait un event tellement privé qu’il refuse la plupart des gens qui souhaite y participer. C’est vraiment très frustrant d’autant que le nombre de coureurs admis à la Hardrock c’est seulement entre 100 et 140 chaque année. La Western States c’est un peu plus et tourne autour des 370 mais c’est dans le fond le même problème. Dans un cas comme dans l’autre, le droit d’entrée n’est tout simplement pas tellement ouvert du tout. Je pense que ce que propose Jamil Coury par exemple est beaucoup plus démocratique.
Gaël Dutigny : Quid de l’UTMB ? C’est un peu la même chose non ?
Brian Metzler : Le résultat du système des UTMB World Series c’est que les coureurs normaux comme toi et moi nous allons avoir de plus en plus de mal à nous qualifier pour l’UTMB de Chamonix. C’est même en train de devenir impossible d’avoir un dossard. Alors oui, certes ça donne aux amateurs l’idée qu’ils font partie d’une « élite » et ça leur offre du rêve mais bon, au bout d’un moment comme tu ne peux jamais te qualifier, ça finit par te lasser. Les différences avec le système de l’Ironman et de leur course de Kona pour laquelle il faut là aussi se qualifier sont multiples. D’abord, en ce qui concerne Kona, il y a deux choses à comprendre : Ironman en a fait jusqu’à présent sa grande finale parce que dans le passé, ils manquaient de participants pour aller à Kona. Venir à Hawaii faire un Ironman, à moins de vivre sur la côte Ouest des USA, c’est loin et ça coûte cher. Ensuite, Ironman a depuis peu instauré son « legacy program » qui offre à ceux qui ont fait 10 Ironman plus de chances d’aller à Kona. Et puis n’importe qui peut s’inscrire à un Ironman, n’importe où sur la planète, sans tirage au sort, sans système de point. Le problème de la Western States et de Hardrock, je le redis, c’est que leur système n’est pas démocratique. À Hardrock, mais ce n’est pas la seule course à fonctionner comme cela, les finishers des années précédentes ont un avantage dans le tirage au sort avec des slots réservés pour eux uniquement. Le problème c’est que beaucoup de ces « vieux » coureurs sont sur la ligne de départ mais abandonnent relativement vite à chaque fois. Donner des dossards automatiques au 5 premiers élites très bien, mais le reste doit être ouvert aux autres. Tout ça est très frustrant. En France, ce qui me plaît c’est que, pour beaucoup, le but de ces courses d’ultra c’est l’aventure, l’introspection bien plus que la vitesse, le chrono et le classement. Il faut se souvenir du Raid Gauloise et du génie de Gérard Fusils qui a inspiré tant de gens avec ses rallyes d’aventures.
Gaël Dutigny : Voilà le second sujet qui fàche : la tendance du marché du running qui, poussée par l’explosion des modèles en carbone, voit un boom des prix des chaussures de course à pied. Un bon modèle d’une marque connue coûte aujourd’hui souvent plus de 150. N’est-ce pas abusif ?
Brian Metzler : Je suis d’accord. Mais cela ne remonte pas seulement au lancement des chaussure Nike à lame de carbone. Newton avait lancé une chaussure à $175 dès 2010 quand la chaussure la plus chère coûtait à l’époque à peine $130. Ensuite, c’est en effet la Nike qui coûtait plus de $250. Mais elle se vendait comme des petits pains ! Les autres marques ont vu les résultats de Nike et se sont donc bien entendu engouffrées dans cette mode des chaussures à plaque de carbone. Et puis, l’ensemble des marques a commencé à augmenter ses prix des autres chaussures alors que certaines mousses plus modernes que l’EVA coûtent moins cher à produire. On peut parler de la marque canadienne Norda™️ qui propose des chaussures à près de $400 ou encore les Américains de Speedland dont les deux premiers modèles coûtaient $375 chacun et dont la toute dernière chaussure coûte $275. Cela pose de vraies questions, même si ces chaussures sont techniquement de très bonne qualité. Parce que d’un autre côté, il y a des chaussures comme la Brooks Launch qui ne coûte que $100 et qui reste une excellente chaussure avec laquelle je cours beaucoup. Le problème avec cette hausse du prix des paires de chaussures, c’est que cela a impacté l’ensemble du marché du running. Les gens s’attendent maintenant à devoir payer plus pour porter une paire de chaussure de running haut de gamme. Aujourd’hui quand tu vas sur un marathon tu vois que ce ne sont plus seulement les 20% de coureurs qui sont en tête. Ces chaussures spectaculaires à plaque de carbone sont portées par tout le monde. Je ne suis pas sûr que ces coureurs amateurs de niveau moyen ou débutant bénéficie vraiment de l’effet carbone mais eux ils en sont persuadés et donc ils les achètent.
* https://www.brianmetzler.com/about
* https://fastestknowntime.com/route/grand-canyon-crossings-az
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