
Organisateur, coureur, trailer.
Par la rédaction, avec Gaël Couturier. Photos © Anthony Chaumontel pour ÉcoTrail Organisation
Il y a des rencontres qui vous marquent. Celle avec Romain Piau est de celles-ci. Je connais Romain depuis 10 ans, au moins, et même à ces débuts, lorsqu’il gérait les premiers salons de l’UTMB, je l’ai trouvé solide, sûr, mais affable aussi. C’est un gars sérieux, intelligent et fiable. Ne rions pas. C’est plus rare qu’on ne pense. En plus, il est sympa et parfois drôle. Ce qui ne gâche rien. Aujourd’hui Romain Piau est coordinateur général de l’événement ÉcoTrail, un beau job quand on aime les événements, une épreuve qui a prouvé son succès malgré ses détracteurs (nous en étions, autant l’avouer tout de suite) et a même réussi la gageure de s’exporter terriblement bien à l’international. Quel talent !
Le blog Endurance Shop : Bonjour Romain et merci de prendre le temps de nous répondre. Pouvez-vous nous rappeler votre parcours étudiant et professionnel pour mieux comprendre comment on en arrive à diriger un événement de cette ampleur
Romain Piau : Titulaire d’une licence Management du Sport au Mans (Staps – Université du Maine) et d’un master Management et Evénémentiel Sportif à Orsay (Université Paris 11), j’ai clôturé mes études par un stage de 9 mois dans l’agence de communication Pro Déo (Groupe Young et Rubicam) pour organiser la Danone Nations Cup (coupe du monde de foot pour les benjamins). De retour d’un voyage d’un an sur 2008-2009 en Australie, Nouvelle-Zélande et Asie du Sud-Est, j’ai enchainé diverses expériences événementielles qui m’ont permis d’étoffer mon réseau pro et de rencontrer Jean-Charles Perrin, alors fondateur des agences Run For You et EcoTrail Organisation. J’ai fait mes armes pendant les premières années sur plusieurs pôles de l’organisation (inscriptions , communication, marketing et commercial) avant de devenir, en 2015, le coordinateur général de l’événement.
Le blog Endurance Shop : Le succès de votre course est tel que vous avez réussi à exporter le concept à l’international. C’est une chose rare. Quelles sont les villes qui fonctionnent le mieux et quelles sont celles que vous aimeriez réussir à intégrer dans les années à venir ?
Romain Piau : Les villes qui fonctionnent le mieux, Oslo et Bruxelles, sont les plus anciennes donc c’est assez logique. On ne s’interdit rien en matière de nouvel EcoTrail, sachant que l’ambition est de sortir d’Europe en 2019 (Asie et/ou Amérique). Pour ce qui est des villes cibles, il y en a plusieurs qui nous font rêver : New-York, Rio de Janeiro, Tokyo… L’idée est de poursuivre notre extension dans le respect du concept.
Le blog Endurance Shop : L’Eco-responsabilité vous tient à coeur et vous avez bien raison. Vous écrivez dans vos communiqués que « l’objectif des EcoTrails est de sensibiliser les coureurs à l’éco-responsabilité, ADN du projet depuis ses débuts en 2008. Autour de ses 6 piliers éco-mobilité / patrimoine naturel & culturel / restauration / santé & solidarité / eau, déchets & énergies / prévention et sensibilisation, l’organisation multiplie d’année en année des actions concrètes pour minimiser l’impact de l’événement sur la nature du terrain de jeu de l’EcoTrail ». Pouvez-vous nous citer quelques actions concrètes significatives que vous mettez en place et qui font la différence ?
Romain Piau : Depuis le début, nous insistons pour que les coureurs soient les premiers acteurs du changement. C’est primordial pour nous. Lors de leur inscription à l’EcoTrail Paris, les coureurs se voient offrir un titre de transport (RER et/ou Transilien) pour accéder à leur lieu de départ par « mode de transport doux ». Nous avons aussi supprimé tous les contenants plastiques sur nos zones de ravitaillement. Les coureurs ne peuvent s’hydrater que grâce à leur eco-cup qui figure aussi dans la liste du matériel obligatoire. Avez l’aide des éco-acteurs mobilisés par la fondation WWF, nous nettoyons une partie des parcours le lendemain de la course afin de mesurer la pollution effective de nos coureurs et de rendre les parcours intacts. En 2018, nous avons réalisé un bilan carbone avec le soutien du Département des Yvelines pour nous aider à orienter nos actions dans le futur.
Le blog Endurance Shop : Vous distribuez une pochette à déchets par coureur, afin de respecter les chemins empruntés mais que pouvez-vous faire contre ceux qui continuent de jeter leur papier par terre ? Il y en a. Ça n’a l’air de rien, peut-être, mais c’est pourtant un vrai problème qui montre que les vielles mentalités ont la vie dure. Pouvez-vous prendre plus de sanctions, mettre plus de contrôleurs sur le terrain, renforcer encore davantage le message pendant vos briefing, vos emails, vos plaquettes ?
Romain Piau : Effectivement, au retrait des dossards, les coureurs bénéficient d’une pochette à déchets individuelle leur permettant de gérer leurs déchets durant toute leur course mais aussi de façon générale sur toutes leurs sorties running. Il faut savoir qu’il est obligatoire pour tous les participants à nos courses de disposer d’un endroit dédié (pochette ou poche dans le sac de course) à la collecte de leurs déchets personnels. En 2017, nous avons disqualifié les 2 premiers du Trail 18 km qui n’avaient pas de matériel et qui donc ne respectaient pas ce point.
Le blog Endurance Shop : Vous êtes sans merci. C’est bien. Bravo !
Romain Piau : En tant qu’organisateur de trail, il faut garder en tête qu’une grande partie de nos coureurs (surtout sur nos courtes distances) viennent de la course sur route et que les habitudes y sont différentes. Le coureur sur route consomme son ravito le plus vite possible, tente de jeter ses déchets dans les poubelles (quand il y en a) et s’il n’y parvient pas, il se dit que les services de la ville passeront derrière. Dans nos courses en Nature, c’est tolérance zéro car nous ne demandons pas aux services des villes de passer derrière nos coureurs et que l’environnement emprunté doit rester intact. Nous misons sur la responsabilité et le bon sens des coureurs. Notre mission, en tant qu’organisateurs est de renforcer encore plus les messages de sensibilisation en fonction des populations (les coureurs des longues distances sont plus sensibles aux actions mises en place que les coureurs des courtes distances) et pendant la course (signalétique adaptée + sensibilisation de bénévoles éco-acteurs sur les zones de ravitaillement). Nous restons conscients que même après ça, il restera d’irréductibles coureurs irrespectueux des valeurs de la discipline mais nous ne lâcherons pas : l’enjeu est trop important.
Le blog Endurance Shop : Avec l’UTMB dont la notoriété dépasse largement nos frontières, vous êtes certainement l’autre course de trail running la plus populaire de France. Comment expliquez-vous ce succès alors que vous êtes quand même loin d’être une course de trail running en pleine nature comme peuvent l’être des courses qui se déroulent dans des endroits de France moins peuplés, plus reculés, moins proche d’une grande ville ?
Romain Piau : Ça, c’est vous qui le dites ! Je rappelle que le trail est par définition (référence de l’International Trail Running Association) « une course à pied, ouverte à tous, dans un environnement nature (montagne, désert, forêt, plaine…) » donc je reste assez insensible aux débats sans fin concernant les courses qui seraient plus axées trail que d’autres.
Le blog Endurance Shop : Oui, enfin, pardon, mais vous avez encore quelques bons km en plein centre ville. C’est d’ailleurs aussi, quand même, le concept de ces ÉcoTrails. Donc c’est inévitable pour vous et c’est bien ce qui moi me déplaisait dans votre concept, au départ. Mais autant je reconnais avec plaisir votre succès, autant on ne peut qu’être d’accord sur le fait que vous êtes unique : la très très très grande majorité des courses de trail qui sont parmi les plus populaires sur cette planète se passent à 98-100% sur des sentiers d’une part, mais aussi d’autre part dans des endroits assez éloignés de la civilisation. On ne va pas comparer Chamonix ou Courmayeur pour l’UTMB à Paris et Bruxelles pour vos ÉcoTrails ni Squaw Valley et Silverton pour la Western States 100 et la Hardrock 100 à Oslo ou même Florence en Italie où vous avez là aussi des EcoTrails. Il faut être raisonnable. Selon moi, et le débat sera clos si vous le voulez, on peut justement débattre de ce sujet !
Romain Piau : Je rappelle que notre course phare, le Trail 80 km, comporte plus de 92% de sentiers avec, il est vrai, une arrivée au coeur de Paris – mais il fallait bien ça pour arriver au 1er étage de la tour Eiffel ! Le succès de l’EcoTrail Paris (plus de 10 500 trailers attendus pour 2019) s’explique par la diversité de nos distances (18km, 30km, 45km et 80km), la richesse et variétés des parcours (château de Versailles, Observatoire de Meudon, Tour Eiffel et de nombreuses forêts domaniales ouest-franciliennes) et aussi naturellement par la proximité immédiate du bassin parisien qui compte un énorme potentiel de trailers.
Le blog Endurance Shop : Bien sûr ! Je ne remets pas du tout ça en cause mon cher Romain…
Le blog Endurance Shop : Randonnées, marches nordiques et trail running semblent faire bon ménage chez vous. Les coureurs à pied / trailers se prennent parfois un peu au sérieux et auraient pu faire grise mine à l’intégration de ces autres pratiquants dont la pratique, si elle reste sportive, est nettement moins agressive, beaucoup plus éloignée de toute forme de compétition. N’était-ce pas un pari risqué au départ que de mélanger ces populations ? À moins que les « trailers » soient des coureurs à part…
Romain Piau : Je ne pense que les « trailers » soient des gens à part. D’ailleurs, un trailer (ou une traileuse) quand il (elle) ne court pas, il (elle) marche… D’un point de vue organisationnel, cela aurait été risqué de mixer ces populations ensemble car les attentes sont radicalement différentes et les dispositifs d’accueil également. Notre volonté première est de permettre au plus grand nombre de découvrir notre patrimoine naturel, historique et culturel par l’intermédiaire d’une pratique physique (trail ou marche) et d’adhérer à nos valeurs en matière d’éco-responsabilité. Et dès lors qu’il y a adhésion commune à des valeurs, il y a bonne entente.
Le blog Endurance Shop : Je suis…assez d’accord même si moi je pense que les trailers sont différents de coureurs sur route mais disons que c’est un autre débat. Passons. Bon, mais alors quels conseils donneriez-vous à un coureur à pied qui hésite entre toutes vos distances : 80 km, 45 km, 30 km, 18 km ???
Romain Piau : Je dirais qu’il doit choisir la bonne distance en fonction de ses capacités intrinsèques tout en gardant en tête que la longue distance en trail n’est pas appréhender de la même façon que sur route. Je rencontre souvent des coureurs (euses) habitués aux semi-marathons et effrayés par la distance du 18 km chez nous car pensant que ce sera beaucoup trop compliqué. C’est un a-priori absolument faux ! En Trail, le rapport au temps est radicalement différent que sur la route. Sur les ravitaillements, on s’arrête pour s’alimenter et se reposer ; dans les côtes, on marche ; s’il y a des beaux paysages, on s’arrête et on admire…Le but ultime est d’être finisher. Sur route c’est tout l’inverse : la moindre seconde perdue à s’alimenter, regarder les paysages, etc…est une seconde perdue sur le temps final…un drame.
Le blog Endurance Shop : Ah bah vous voyez qu’il y a des différences importantes entre ces deux publics !
Romain Piau : Pour en revenir aux conseils, je dirais qu’un(e) coureur(se) habitué(e) aux semi-marathons peut se lancer sur le Trail 18 km et Trail 30 km sans aucun problème. Les marathoniens(nes) peuvent se lancer sur le 45 km voire même sur le Trail 80 km. Le tout est une question de préparation et de volonté.
Le blog Endurance Shop : Faites-vous parfois évoluer vos parcours d’une année sur l’autre, selon l’avis critique des coureurs peut-être ? Si non pourquoi pas ?
Romain Piau : Oui, cela peut nous arriver de faire varier un peu nos parcours mais ce n’est pas aussi simple que l’on pourrait l’imaginer. Pour chaque moindre changement de parcours, il faut s’assurer de la faisabilité auprès des institutions publiques et du respect de le noter sur cahier des charges (distance, sentier, dénivelé…). Pour 2019, nous allons faire arriver les coureurs (ses) du Trail 30 km et Trail 45 km au Trocadéro car nous entendions une certaine frustration des finishers 30 km et 45 km à ne pas terminer sur un spot mythique comme les coureurs (ses) du Trail 80 km qui arrivent eux au 1er étage de la tour Eiffel. C’est donc chose faite !
Le blog Endurance Shop : Les distances du 100 km et du 100 miles sont à la mode, et ce n’est pas l’espace ni les sentiers qui manquent dans ces départements que nous avons cités. Peut-on imaginer un jour prochain les voir proposées au menu de l’EcoTrail Paris ? Si non, pourquoi pas ?
Romain Piau : C’est une réflexion qui existe dans la tête de nos trailers de l’organisation, de là à dire que cela va se réaliser prochainement, c’est une autre histoire…
Le blog Endurance Shop : Quel est le compliment qui vous fait le plus plaisir quand on vous parle de votre événements et de toutes ses courses ?
Romain Piau : Incontestablement la reconnaissance des finishers, à l’issue de leur course, d’avoir couru (certains pour la 1ère fois) une véritable course nature.
Le blog Endurance Shop : Moi j’aime bien quand vous remuez le couteau dans la plaie mon romain…
Romain Piau : En 2018, les conditions météos ont été absolument apocalyptiques (neige et froid) et pourtant jamais les coureurs n’avaient été aussi satisfaits après leur course. Ils avaient testé l’expérience trail dans sa pleine mesure. La reconnaissance par nos pairs de notre engagement éco-responsable est aussi un compliment qui nous fait particulièrement plaisir.
Le blog Endurance Shop : Projetons-nous 30 secondes. Dans 10 ans, en 2029, où en sera l’Éco Trail de Paris ?
Romain Piau : Nous pensons être en capacité d’accueillir un peu plus de monde sur les différentes courses tout en garantissant un confort de course (sans bouchon) optimal et une empreinte sur notre territoire toujours aussi limitée. Pour les randonnées et marches nordiques du dimanche, nous sommes beaucoup plus souples. Allez soyons fous, l’EcoTrail Paris accueillera 15 000 coureurs et marcheurs !
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