
Guest : Rémi Duchemin, directeur général UTMB® International.
Par la rédaction et avec Gaël Couturier, 4-times finisher de l’UTMB®.
Photos © UTMB® et UTMB® International.
L’UTMB®. Beaucoup de coureurs, de critiques et de commentateurs en parlent, mais peu savent en réalité ce que c’est que de terminer la bête, environs 170 km et 20 000 m de dénivelé, d’autant que le taux d’abandon tourne encore chaque année autour des 30%. Depuis 2013, année de sa création à Chamonix, l’événement s’est merveilleusement construit, et sa réputation dépasse aujourd’hui largement les frontières de la Suisse, de l’Italie et de la France. Mais le fonctionnement actuel de l’UTMB® soulève aussi beaucoup de questions. Car s’il y a bien entendu d’énormes avantages pour la pratique de la course à pied dans son ensemble à pouvoir s’appuyer sur un socle du trail running aussi solide, il est clair que l’ambiance générale très nature et artisanale de ses débuts a laissé place à un cirque plus populaire, plus bruyant, plus cadré…. Ce n’est pas forcément un mal, mais c’est sans conteste différent. Certains aiment, d’autres moins.
Au moment où se jouent justement les inscriptions pour l’édition 2019, la 17ème édition de l’UTMB®, et que sont également annoncées les prochaines courses internationales qui portent désormais le nom UTMB®, nous avons décidé de nous interroger sur ce mythe. Notre spécialiste maison a pour cela rencontré un autre spécialiste. Développeur de la marque UTMB® à l’international, créateur de nombreux autres événements dans la voile ou le vélo, l’ancien d’ASO Rémi Duchemin, nous fait l’amitié d’être avec nous toute la semaine pour évoquer cette course dont tout le monde parle – oui oui tout le monde, de la France à la Chine en passant par la Terre de Feu. Dans les 5 épisodes qui vont donc se succéder chaque jour cette semaine, vous allez pouvoir choisir entre lire l’interview ou l’écouter en podcast à la fin de l’article.
Rémi Duchemin est donc un de ces hommes de l’ombre qui travaillent aujourd’hui au destin de l’UTMB® à l’international. Il en est même, aux côtés du couple Catherine et Michel Poletti de la société Autour du Mont-Blanc, avec sa propre société à lui, OC Sport, l’un de ses principaux artisans. Pour débuter notre série de Q&R, nous évoquons la naissance de la marque UTMB® international. Qui a eu l’idée? Quel était le postulat de départ ? Quels étaient éventuellement les risques à prendre ? Les manques à combler ? Les réponses à apporter ?
Gaël Couturier : Je me souviens bien de mon premier UTMB®, le tour complet, en 2005. À cette époque la course avait déjà un caractère international à cause de ses athlètes qui venaient de toute l’Europe, et des USA, mais l’ampleur, le suivi et les répercutions n’étaient pas du tout les mêmes. Qu’est-ce qui explique selon toi la formidable évolution de l’événement ? Et qu’est-ce qui fait qu’un entrepreneur comme toi, qui ne vit plus en France et travaille aujourd’hui dans le monde entier, se soit tellement intéressé à cet événement, au point d’en diriger maintenant le développement international avec des licences ?
Rémi Duchemin : À l’origine, il y a un événement d’exception, avec un site d’exception. Il y a donc immédiatement un produit unique, exceptionnel, au sens premier du terme. C’est tout de suite un événement magique, qui fait rêver, qui donne des frissons.
Gaël Couturier : Exceptionnel par la nature environnante autour du Mont-Blanc tu veux dire ?
Rémi Duchemin : Oui, par son site naturel, notamment, mais aussi par son concept. Quand on vient à Chamonix et qu’on court autour du Mont-Blanc, on en ressort forcément un peu transformé.
Gaël Couturier : Oui, mais le concept de la course de trail running d’une distance de 100 miles, environs, ça existait bien avant l’UTMB®, aux USA notamment, où par exemple la Western States® 100-Mile Endurance Run est né en 1974. Une des forces de l’UTMB® c’est aussi, ne crois-tu pas, le fait que tu passes par trois pays en une seule épreuve ?
Rémi Duchemin : Si si bien sûr ! Le succès de la course est dû à de très nombreux facteurs et le fait que ça passe par trois pays contribue aussi à la magie du concept. Tout comme le fait que tu puisses être subjugué par la grandeur du Mont-Blanc, que l’organisation soit de très grande qualité, ou encore que l’émotion que tu peux ressentir juste avant le départ de la course dans Chamonix, au niveau du triangle de l’amitié, est très forte, pour tous. Plein de choses contribuent donc à cette magie qui a fait que, très rapidement, l’événement a attiré plus de monde qu’il y avait de dossards disponibles. Comme on le sait tous, on n’est pas sur les avenues très larges des grands marathons, Paris, Londres, Berlin, Boston…Ce sport, le trail running, offrira toujours par sa nature un nombre de dossards limité. D’abord parce que tu ne peux pas faire n’importe quoi en pleine nature. Ensuite parce que la gestion d’un peloton de trail runner en pleine montagne, ce n’est pas la même chose que la gestion d’un peloton d’un marathon en plein centre ville. Je rappelle par exemple qu’on passe quand même deux fois à plus de 2500 mètres d’altitude sur l’UTMB®.
Gaël Couturier : Oui. La première fois c’est au col de la Seigne (2516 m), km 60,4 / col des Pyramides Calcaires (2565 m), km 63,2. La seconde fois c’est au Grand Col Ferret (2537 m), km 101,8.
Rémi Duchemin : L’offre est donc par nature limitée et la demande n’a été que grandissante, renforcée par le fait qu’au cours des quinze dernières années, les sports d’endurance dans leur globalité ont connu un succès de plus en plus affirmé. C’est le cas pour le marathon, le trail running, la nage en eau vive, le VTT ou le cyclisme sur route. Donc tout cela a joué sur le fait que la demande de dossards pour l’UTMB® n’a pas cessé de grandir. Et pour les dirigeants de la course il y avait deux possibilités : soit ils assistaient un peu impuissants à l’évolution de cette demande et auraient pu décider que, du point de vue des inscriptions, c’était le règne du premier arrivé premier servi. Il y a aujourd’hui environs 10 000 places, sur tous les événement de l’UTMB® Mont-Blanc. Ils les auraient vendues en quelques dizaines de secondes chaque année, et puis voilà.
Gaël Couturier : Et quelle était l’autre possibilité ? C’est intéressant. Tu anticipes les questions…
Rémi Duchemin : L’autre possibilité c’était de mettre en place des outils, de prendre les décisions pour maitriser cette demande, avec le but que ce soit plus équitable, plus fair-play. C’est la raison pour laquelle ils ont créé d’autres courses, dans un premier temps, puis le système des points qualificatifs avec le tirage au sort. Je précise, et on le sait tous, que le système de points a lui aussi évolué. Le nombre de points nécessaires au départ quand ils ont lancé le système n’est plus le même qu’aujourd’hui. Et malgré tout ça, les Poletti continuaient d’avoir des sollicitations aux 4 coins du monde, notamment des organisateurs qui les sollicitaient, qui venaient les voir pour apprendre. Et ils auraient pu ne rien faire. Ou, au contraire faire attention à ne pas faire n’importe quoi avec la marque UTMB® et assurer un développement maîtrisé de la marque et de l’événement aux quatre coins du monde. Et c’est là que nous sommes intervenus avec ma société. Je leur avais déjà dit il y a 3 ou 4 ans qu’ils avaient une marque leader dans les sports d’endurance, très clairement la marque première dans le monde du trail, et que pour la préserver, et maîtriser sa croissance, il fallait mettre en place des outils, une équipe, des règles. Il fallait d’un côté que nous ne fassions pas n’importe quoi en terme de développement à l’international et, de l’autre côté, que les organisateurs d’autres courses qui donnent aussi des points pour faire l’UTMB ne fassent pas n’importe quoi non plus.
Gaël Couturier : Mais,précisément, l’idée d’offrir la possibilité d’aller faire des UTMB® à l’étranger, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud…c’est venu de toi, à OC Sport, ou de Michel et Catherine Poletti ?
Rémi Duchemin : Elle nous est venue ensemble. Nous étions chez moi, en Suisse, en février 2016, je crois. On s’est mis à parler du trail de manière générale. On s’est dit qu’il y avait des endroits dans le monde qui mériteraient d’avoir des grands événements de trail running, très bien organisés, ouverts aux plus grands nombres et avec des standards de qualités extrêmement élevés. Pourquoi ? Parce que la pratique se développe dans certaines parties du monde : en Asie et en Amérique du Sud. Et puis il y a cette situation paradoxale du sport en Amérique du Nord. C’est en Amérique du Nord que le sport y est né. Il s’y développe de plus en plus. Mais les événements y sont indépendants les uns des autres, ils sont limités par des contraintes administratives, ou culturelles. Donc on s’est dit pourquoi ne pas reproduire l’UTMB® de Chamonix, ailleurs. D’autant qu’à cette époque, Michel et Catherine Poletti avaient une à deux demandes par semaine d’un organisateur qui souhaitait établir un partenariat stratégique, un partage d’expérience, éventuellement utiliser dans leur communication la marque UTMB®…Nous on s’est dit qu’il y avait à la fois un besoin de structurer le développement de l’UTMB®, et de l’autre côté, dans certaines zones du monde, étant donné que de grands chelems du trail running n’existaient pas encore, il y avait ce besoin de répondre aux demandes, aux attentes non satisfaites des coureurs qui étaient face à un gap très très important entre le niveau d’organisation de l’UTMB® à Chamonix et puis ce qu’ils pouvaient rencontrer sur leur continent.
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