
Guest : Rémi Duchemin, directeur général UTMB® International.
Par la rédaction et avec Gaël Couturier, 4-times finisher de l’UTMB®.
Photos © UTMB® et UTMB® International.
Dans ce second entretien, on s’intéresse avant tout à l’humain. Nous abordons la genèse de l’UTMB®, en découvrant d’abord qui sont vraiment les Poletti, Michel et Catherine, ses créateurs, ses patrons. Leur histoire est intéressante car, on le sait, leur succès est fulgurant. Que faisaient-ils avant de s’occuper à temps plein de l’UTMB® ? Comment leur personnalité, leur passé d’étudiant, de Chamoniards, peuvent-il expliquer ce succès ? Nous pénétrons ensuite dans le vif du sujet autour du rôle de Rémi Duchemin dans l’équation UTMB® et, surtout, dans le développement à l’international, sur tous les continents. Enfin, on commencera à toucher au douloureux problème des inscriptions.
Gaël Couturier : Comment peut-on expliquer ce talent d’organisateur du couple Catherine et Michel Poletti qui, si je ne me trompe pas, sont un peu tombés là-dedans par hasard ? Même si Michel a toujours été très sportif, on sait qu’il a longtemps été passionné par le ski de fond, ni l’un ni l’autre n’ont étudié le marketing sportif.
Rémi Duchemin : C’est vrai que dans le développement du sport qu’est le trail running en France depuis 15 ans, à chaque fois qu’il y a eu une avancée significative, on y retrouve au centre Michel et Catherine Poletti : la création et le développement de l’UTMB®, la création de l’UTMB® international, la création de l’Ultra Trail® World Tour, la création de l’ITRA, l’International Trail-Running Association… Déjà, je pense qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme en management du sport pour être un bon organisateur. Ensuite Michel et Catherine Poletti sont des gens extrêmement pragmatiques, des gens qui ont les pieds sur terre et qui ont toujours su s’entourer d’autres personnes passionnées. Régulièrement, il y a des gens qui frappent à la porte en leur disant « Nous, on adore votre événement UTMB®, on adore votre marque, comment pourrait-on vous aider ? ». C’est pour cela qu’à Chamonix aujourd’hui il y a tout un réseau de personnes qui ne sont pas des salariés à l’année, qui sont parfois complètement bénévoles. Je prends un exemple : la personne qui a développé tout le dispositif de l’UTMB® TV, qui dure toute une semaine pendant l’événement, qui est en streaming live sur le site web de la course, est à l’origine un bénévole, un passionné. Il a juste frappé à la porte et a proposé son aide. Et son dispositif est aujourd’hui envié au quatre coins du monde. Je pense donc que leur vrai talent, c’est ça. Ils ont d’abord bien les pieds sur terre. Ensuite, ils ont aussi la tête bien faite et ont su prendre les bonnes décisions au fur et à mesure. Mais surtout, ils ont eu l’intelligence de s’entourer des bonnes personnes qui avaient les bonnes compétences au bon moment. Et j’avoue que je suis bluffé aujourd’hui quand je vois ce qu’ils ont réussi à faire. Quand je pense aux systèmes d’intelligence qui existent aujourd’hui dans le trail, avec la création d’un classement mondial, le système des points qualificatifs, toutes ces courses qui sont labellisées aux quatre coins du monde…C’est l’ITRA qui gère cela aujourd’hui mais ils ont été développés par Michel et sa fille Isabelle. On ressent bien le background d’ingénieur du père et de la fille.
Gaël Couturier : Oui, précisons en effet que Michel Poletti a commencé ses études à l’INSA de Lyon et s’est ensuite orienté vers la fac, dans un cursus nommé « informatique et maths en science sociale ».
Rémi Duchemin : Toute la famille a en effet un background d’ingénieur. À l’issue de leurs études, Michel et Catherine vivaient à Grenoble, mais la montagne et Chamonix manquaient terriblement à Michel. Ils ont donc préféré revenir s’installer à Chamonix, quitte à faire quelque chose qui n’était pas complètement en ligne avec leurs études, plutôt que de vivre dans une grande ville et travailler dans une grande entreprise où ils se seraient ennuyés très rapidement. C’est pour ça qu’ils ont ouvert ce magasin de disques.
Gaël Couturier : Tout ça est très intéressant je trouve. C’est revenir à la genèse, au tout début de cette histoire de la naissance de l’UTMB®. Et ce parcours universitaire scientifique, en école d’ingénieur, puis à la fac, j’ai même lu que Michel avait commencé un 3ème cycle en fac, ça explique leur grande capacité à être pragmatique dont tu parlais juste avant.
Rémi Duchemin : Et aussi leur capacité à organiser les pièces d’un puzzle un peu complexe, et à les mettre dans le bon ordre. Au bout d’une dizaine d’années, c’était un peu compliqué de dégager deux salaires avec leur magasin de disques et c’est pourquoi Michel a créé une société de logiciels informatiques qu’il a développée et qui a connu un certain succès. Avec son entreprise, ils ont même développé un logiciel de gestion et de vente qui est toujours le logiciel leader dans les magasins de sport.
Gaël Couturier : Leader ? Ah oui, carrément. Mais leader à Chamonix ? En France ? Leader dans le monde ?
Rémi Duchemin : Ils ont cédé cette société très rapidement après la création de l’UTMB® pour pouvoir s’y consacrer pleinement, et cette société exploite toujours ce logiciel qui est, me semble-t-il, leader à l’échelle européenne.
Gaël Couturier : Et ensuite ?
Rémi Duchemin : Ensuite, Michel a commencé à s’intéresser à la course à pied, à l’ultra, lui qui avait, comme tu l’as précisé, un background plutôt ski de fond. Il a vu que les mecs commençaient à s’entraîner dans la montagne. Ça l’a intéressé. Il a commencé à faire des courses ailleurs qu’à Chamonix. C’était 16-17 ans en arrière par rapport à aujourd’hui. Et à chaque fois qu’il arrivait à Chamonix, il était enchanté. Il avait découvert tel ou tel endroit en France ou en Europe mais il se demandait toujours pourquoi ne pas faire quelque chose de similaire à Chamonix. Et c’est comme ça qu’avec un groupe de 8 autres copains, ils étaient 9 en tout, ils ont décidé de mettre au point le concept tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ils ont fait un test event et puis très rapidement ils ont lancé la première édition.
Gaël Couturier : Je crois même qu’il existait avant une course à pied en relais autour du Mont-Blanc, mais qu’elle a disparu.
Rémi Duchemin : Dès la première édition, ça a été le succès et on connaît tous l’histoire. Alors, non, bien sûr, ils n’ont jamais fait d’études de marketing du sport comme toi et moi, si tant est que cela soit nécessaire pour réussir, mais ce sont des gens qui font les choses dans l’ordre, qui prennent le temps de réfléchir avant d’agir, qui savent s’entourer des bonnes personnes et qui sont très pragmatiques, très terre à terre.
Gaël Couturier : Très bien. Quel est maintenant ton rôle à toi exactement dans ce développement international.
Rémi Duchemin : Mon rôle c’est de protéger le développement à l’international, notamment en favorisant l’émergence de nouveaux événements majeurs dans des pays, ou dans des régions, qui connaissent une forte croissance où dans lesquelles il manque un grand et magnifique événement de trail. On a commencé fin 2016 en Chine avec un test event qui s’est concrétisé par une première édition qui s’est déroulée au début de l’année 2018, en mars exactement, dans la province du Yunnan à l’extrême Sud-Ouest de la Chine. C’est le Gaoligong by UTMB®. En 2017, on a ensuite avancé sur la création d’un deuxième événement, l’Oman by UTMB®, au Sultana d’Oman. La première édition s’est réalisée en novembre 2018. Et puis, il y a quelques mois, on a favorisé la création d’un 3ème événement, en Amérique du Sud cette fois-ci, en Argentine, plus exactement à l’extrême Sud de l’Argentine et de l’Amérique du Sud, à Ushuaia.
Gaël Couturier : Ushuaia qui est la capitale de la région de la Terre de Feu.
Rémi Duchemin : L’événement s’appelle Ushuaia by UTMB® et il aura lieu le premier weekend d’avril 2019.
Gaël Couturier : Ça va donc arriver très vite maintenant.
Rémi Duchemin : Oui. Aujourd’hui, il y a l’UTMB® Mont-Blanc, il y a le Gaoligong by UTMB® en Chine, Oman by UTMB® au Moyen-Orient, Ushuaia by UTMB® en Argentine. On travaille activement sur l’Amérique du Nord puisqu’on a créé une filiale d’UTMB® International dans le Colorado. Et on a déjà installé une petite équipe pour avancer de manière plus concrète sur l’arrivée ou la création d’un grand événement populaire aux États-Unis. C’est ce qui manque. Il y a des événements qui sont historiques, qui sont très bien organisés mais il n’y a pas de grand événement avec 2000, 3000, 4000 participants, tout en préservant les sites naturels.
Gaël Couturier : Et oui car c’est ça le soucis aux USA sur ces courses que tu décris parce que tu cours souvent là-bas sur un territoire où tu n’as tout simplement pas le droit de rassembler autant de participants que tu peux en avoir à l’UTMB® Mont-Blanc.
Rémi Duchemin : Exactement. C’est une des contraintes. Je pense qu’aux USA, il y a deux facteurs limitants. Il y a de temps en temps ces autorisations qui sont très compliquées à obtenir et qui expliquent que certains gros événements comme la Western States par exemple, n’ont que 300-500 participants. Et puis je pense qu’il y a aussi une dimension culturelle : il y a en effet deux philosophies qui cohabitent aujourd’hui dans le trail américain. Il y a ceux qui souhaitent que le trail running reste sur ses valeurs d’origine. Le sport est né là-bas et il est né comme un sport confidentiel. Certains sont donc plutôt favorables à ce qu’il reste un sport relativement confidentiel tandis que d’autres se disent que c’est juste incroyable qu’il n’y ait pas de grands événements aux États-Unis comme on peut en avoir en Europe, en Chine, en Océanie, et qu’il y a là une petite anomalie à corriger.
Gaël Couturier : Oui. Alors ça c’est intéressant. Toi tu appelles ça une petit anomalie mais pour moi c’est carrément un choc des cultures. J’ai encore fait un 50 km l’été dernier, en Californie, la course s’appelait « Bulldog 50 » et c’était à l’opposé de ce que tu décris avec le fonctionnement des UTMB®.
Rémi Duchemin : Oui mais je pense qu’il ne faut pas généraliser. C’est vrai que certains médias, certains organisateurs ont pu jouer un rôle important dans la création de ce sport il y a maintenant 20-25 ans et n’ont pas envie de cette évolution. Mais quand tu interroges les athlètes, nous on a interrogé un panel assez large d’athlètes de haut niveau, dont beaucoup d’américains, et bien dans leur très grande majorité, ils sont favorables à la création d’un grand événement populaire aux États-Unis.
Gaël Couturier : C’est vrai que des critiques se sont aussi élevées en France, car avec le développement de l’UTMB®, il y a des choses qui, forcément, ont changé. Comme par exemple le processus d’inscriptions qui est aujourd’hui beaucoup plus complexe que dans les premières années.
Rémi Duchemin : Dans le même temps, si la croissance n’avait pas été maîtrisée, ça serait encore plus l’anarchie. Michel et Catherine auraient pu se dire que la sélection, ils allaient la faire sur l’argent : plus on a de demandes plus on peut augmenter les frais d’inscriptions. Ils pourraient mettre une inscription à 1000€ mais dans ce cas, les gens râleraient parce qu’ils diraient que c’est trop cher. Regarde le marathon de New-York. Qu’est-ce qu’ils ont décidé de faire ? Ils ont décidé de découper le monde avec différents marchés, différentes zones, et d’attribuer un certain nombre de dossards à chacune de ces zones et forcer les gens qui veulent s’inscrire à passer par un tour operator qui va leur vendre, en plus du dossard, le transport et l’hébergement. Il se trouve que ce n’est pas un choix qui a été fait par Michel et Catherine Poletti. Ils auraient aussi pu décider de dire que ce c’est le premier arrivé, le premier servi. Et dans ce cas là, quand tu as 150 000 personnes dans le monde qui essaient de se connecter exactement dans la même seconde alors que tu n’as que 2700-2800 places sur la distance UTMB® et bien ça veut dire que tu as 1,5% de chance de t’inscrire et que tu vas attendre 15 ans ou 20 ans avant de pouvoir t’inscrire. Mais je ne dis pas que le système d’aujourd’hui est parfait.
Gaël Couturier : C’est un point essentiel le problème des inscriptions parce que c’est vrai que les gens s’en plaignent mais, comme tu l’expliques aussi très bien, ils ont trouvé pour le moment une solution. Et par rapport à l’évolution de la course, je rappelle que tout le marché du trail running bénéficie de cet événement. Et on serait donc bien malhabiles, les uns les autres, de cracher dans la soupe.
Rémi Duchemin : Oui, l’UTMB® est un moteur. Je vais très souvent voir sur les sites internet de certains organisateurs et je vois qu’il placardent le logo « course qualificative UTMB® » plus gros que celui de leur sponsor ou de la ville qui accueille l’événement.
Gaël Couturier : J’étais moi-même en Inde jusqu’en 2015 et, en 2014-2015, quand je m’occupais d’un événement de trail running, un 100 miles, dans le Gujarat à la frontière avec le Pakistan, ces indiens du bout du monde, la première chose qu’ils voulaient c’était avoir ce fameux logo dont tu parles.
Rémi Duchemin : Ça ne m’étonne pas. Il y a 4 ans, il y avait 1000 courses qualificatives. Aujourd’hui il y en a 5000.
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