The Blair Witch Project meets la Barkley
Le 3 décembre 2016 avait lieu la 10ème édition du trail de l’Origole, l’un des plus difficiles d’Ile-de-France à cause de ses barrières horaires plutôt sévères : 19h et 9h20 à mi course pour la longue distance de 110 km. Un événement qui se déroule de nuit, dans la forêt du Perray-en-Yvelines (78) tous les deux ans et qui est organisé par l’association Alternat’ure 3R depuis 2005. Deux distances sont au programme : 55km (2000m de dénivelé) et 110km (3300m de dénivelé).
Par François-Xavier Gaudas. Photos organisation.


Sur cette dernière édition, la météo était belle mais fraiche : -2°C. La course a par ailleurs justifié sa réputation avec 60% de finishers sur la distance la plus courte et 49% seulement sur la plus grande. En comparaison, l’Ultra-Trail du Mont-Blanc était à 43% en 2016. Après m’être pris la barrière horaire en pleine tête – hors délai d’une vingtaine de minutes au 56ème kilomètre – j’avais pour le moins quelques questions à poser à Jacques Poleni, l’organisateur de ce trail pas si « O(n)rigole » que ça.
Running Café : Votre course fait le plein à chaque édition. De l’avis de tous, elle est plus dure et donc plus fun que l’Eco-Trail de Paris, pourtant devenu la référence en Ile-de-France. Avec vos barrières horaires impossibles, vous semblez à l’abri d’un phénomène de lassitude de la part des coureurs, un peu comme la Barley. Vous en pensez quoi ?
Jacques Poleni : L’Origole et l’Ecotrail ne sont pas comparables et l’objectif d’Alternat’’ure 3R n’est pas de concurrencer cette course. Les deux sont complémentaires. L’Origole est un trail semi nocturne, toujours organisé en décembre et toujours à but caritatif. C’est une épreuve officielle Téléthon. Le parcours se déroule à 95% sur des sentiers forestiers et généralement avec des conditions climatiques difficiles. Les parcours sont modifiés à chaque édition mais c’est un parcours dur, je le reconnais. La moyenne des premiers coureurs est inférieure à 10km/h, ce qui est particulièrement lent. Le pourcentage des finishers depuis la première édition nous différencie effectivement de l’Eco-Trail, qui est plus roulant et donc moins difficile.
Running Café : En effet, vous avez en moyenne 53% de finishers sur votre distance d’ultra. C’est un taux assez bas. Qu’est-ce qui rend votre course aussi difficile ? On n’est pourtant pas en haute montagne !
Jacques Poleni : Si le parcours ne paraît pas hyper technique à première vue, le taux de finishers et la moyenne de 9,25 km/h des premiers élites comme Nicolas Duhail, par exemple (team Outdoor et vainqueur du 80km de l’Eco-Trail de Paris en 2016 en 5h45’27’’) ou Fanny Coyne avec8,3 km/h de moyenne démontrent en effet la difficulté de la course. Le parcours est à 95% dans les bois mais avec tous types de terrains : des successions continues de montées et de descentes très sèches, des passages piégeux avec des cailloux ou des racines ainsi que des secteurs boueux, moins nombreux cette année, il est vrai. La deuxième boucle est en revanche un peu plus roulante mais elle intervient après 90 km dans les jambes.
Running Café : Moi je trouve ces barrières horaires très exigeantes…
Jacques Poleni : Certes, elles sont exigeantes mais pas irréalistes pour une course de ce profil. Nous ne sommes pas en montagne, nos sommets ne sont pas hauts, il faut donc répéter les montées, encore et encore. L’Origole se compose donc d’une succession de bosses qui exigent des relances permanentes. En préparation à la course, nous avons fait le parcours plusieurs fois même en marchant, et toujours au-dessus de 5km/h. Les barrières horaires ont même été allongées de 15 minutes au final, ce qui nous donnait 9h30 pour 55km et 1800m de D+ soit 5,8km/h, et 19h15 pour le 110km et 3100m de D+ soit 5,8 km/h.
Running Café : Pensez-vous que ces barrières puissent être modifiées notamment avec l’aide de plus de bénévoles qui pourraient par exemple se relayer plus longtemps sur le parcours ? Est-ce que des ravitaillements plus rapprochés sont également envisageables ? De nouvelles distances ?
Jacques Poleni : Le taux anormal d’abandons (40%) sur le 55 km avant le 30ème kilomètre nous a beaucoup surpris, c’est vrai, mais je ne pense pas qu’il soit dû à des barrières horaires « tendues » mais bien davantage à la difficulté de l’épreuve qui a pu surprendre certains coureurs peut être moins bien préparés ou bien en fin de saison. En fonction des conditions météo le jour de la course qui nous amènent de la pluie et des terrains très gras, ces barrières pourront encore être ajustées. Mais je précise qu’en conditions normales, et de par l’expérience des éditions précédentes ou des autres trails de la région, nous serons toujours au-dessus d’une moyenne de 5,5km/h. A propos des bénévoles, que je veux remercier pour leur disponibilité, leur nombre et la définition des barrières horaires ne sont absolument pas liés. Ils étaient près de 70 sur les 55km soit en moyenne un point de contrôle tous les 2,5km au maximum. Je crois que beaucoup de trails ne peuvent pas en dire autant. Pour les ravitaillements, on a eu beaucoup de commentaires. Je rappelle que L’Origole est un trail en semi-auto suffisance et que chaque coureur doit donc s’adapter à cette spécificité et s’organiser en conséquence comme pour tous les grands trails de montagne. Ce n’est donc pas une course sur route avec un ravitaillement tous les 5km ! Nous avions un ravitaillement aux kilomètres 28, 55, 80 et 110 ainsi que de l’eau sur plusieurs points de la deuxième boucle et nous continuerons ainsi.
Running Café : Les ravitaillements, bien qu’espacés, étaient vraiment top je peux en effet en témoigner. Ceux de la mi-course et de l’arrivée étaient particulièrement fournis, un vrai buffet ! Avec une organisation aussi bien rôdée et le plein de participants à chaque édition (782 partants en 2016) est-ce que vous n’auriez pas désormais de nouvelles ambitions pour cet événement ? Au niveau des points UTMB par exemple, la course en rapporte déjà plus que l’Eco-Trail : 5 nouveaux points contre 4.
Jacques Poleni : Nos ambitions pour l’Origole sont en premier de pouvoir continuer à avoir les autorisations des différentes collectivités et services de l’État. La partie administrative est de plus en plus lourde, surtout lorsque l’on traverse 14 communes ainsi que le Parc Naturel de la Haute Vallée de Chevreuse (78). Cette dixième édition est un aboutissement et une évolution depuis 2005 où l’épreuve ne faisait que 63km. Il sera difficile, compte tenu de la topologie de notre région, de faire une course de 150 km uniquement en forêt et sur un week-end en décembre car cela remettrait tout notre concept en cause. Je pense que nous avons atteint une limite. Maintenant nous réfléchissons à l’améliorer. Nous n’avons pas non plus l’ambition de rentrer dans la spirale inflationniste du toujours plus et sommes limités par les autorités à 800 coureurs, ce que nous respectons. Nous pourrions en avoir deux fois plus, mais notre souci reste de proposer un vrai trail, de taille humaine. Il est couplé aux soucis du recrutement des bénévoles et surtout de notre structure d’accueil qui nous ramène aussi à la réalité. Enfin, notre dernière ambition serait d’avoir une édition avec plus de 70% de finishers. Nous avons été très surpris et frustrés de n’en avoir que 60% sur le 55km cette année.



Running Café : Vous êtes à côté de Paris donc votre course concerne tous les coureurs d’Ile-de-France mais est-ce que vous connaissez la proportion de personnes y participant venant de province voire de l’étranger ? J’ai croisé plusieurs coureurs chinois hyper affûtés sur le parcours, cela doit vous rendre heureux !
Jacques Poleni : 70% des coureurs venaient en effet de la région, ce qui est logique, mais le reste se partage avec 28% pour la province avec 55 départements représentés et 2% pour l’étranger dont vous avez raison, la Chine, la Corée, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie). La réputation de notre course s’étend, édition après édition, au niveau national et maintenant à l’étranger grâce au bouche à oreilles, aux réseaux sociaux et aux forums. Notre volonté de limiter notre communication et le peu d’intérêt des équipementiers pour notre épreuve nous permet aujourd’hui de ne pas avoir à filtrer les inscriptions et de garder ainsi notre convivialité.
Running Café : Oui c’est un peu l’avantage de vos inconvénients. Parlons maintenant du balisage. Je n’avais jamais couru un ultra aussi bien balisé. Pas moyen de se perdre chez vous. Bravo pour ça, d’autant que le parcours a changé à la dernière minute. Comment avez-vous géré ce contretemps ?
Jacques Poleni : Le balisage sur une telle épreuve est très important, et toute l’équipe qui m’entoure déploie d’énormes efforts pour le préparer et le mettre en place sur 3 jours, avec 2h avant le départ des coureurs, une ouverture complète du parcours par 12 équipes afin de prévenir tout débalisage sauvage. Nous avons pu gérer le changement de parcours, grâce à notre connaissance parfaite du secteur concerné, mais surtout grâce à l’engagement des membres d’Alternat’ure 3R qui sont repartis avec moi sur le terrain pendant plusieurs jours tôt le matin ou tard le soir pour retracer à la frontale. Je tiens à les remercier. Merci aussi à l’Organisation Nationale des Forêts qui a validé très rapidement les changements de parcours.
Running Café : Pour finir, est-ce que la course aura lieu en 2017 ou va-t-elle garder ce format d’une édition tous les 2 ans ?
Jacques Poleni : Pour le moment, on est concentré sur la petite Origole qui aura lieu le 3 décembre 2017 sur un format encore à définir. L’édition précédente était à 30 km. Pour 2018, si nous avons les autorisations, il y aura une onzième édition de l’Origole. Nous en saurons plus d’ici quelques mois.

L’avis du cobaye journaliste
Malgré la déception de ne pas avoir passé le cut de la mi-course – 9h39 avec une barrière horaire à 9h20..grrrr – je retiens beaucoup de bonnes choses de cette course. Dès le départ, la possibilité de laisser toutes ses affaires dans un gymnase surveillé par l’organisation est un super luxe. Petite remarque : le manque de chauffage. Désolé.
Quant au parcours, il propose des portions bien variées : on passe de sentiers dégagés à des côtes assez vilaines avec du + de 30% d’inclinaison – ça décoiffe, je confirme – et donc à des descentes qui le sont tout autant derrière. Le tout avec de la boue… hardore ! Mais qu’est-ce qu’elles étaient fun à dévaler ! A un moment, je me suis même pris pour un labrador. Les parties au milieu des racines et troncs d’arbres donnent un côté très Blair Witch Project à l’ensemble car il est parfois difficile d’avancer à un bon rythme tant on ne voit pas ce qui se trouve au-delà du champ réduit de la frontale. Chevilles fragiles attention ! Au final, en pensant avancer vite à 5,9km/h on se retrouve à peine dans les clous pour passer les barrières horaires. J’ajoute que le fait de devoir relancer en permanence n’aide pas.
Côté ravitaillement, j’ai personnellement trouvé le premier ravitaillement un peu trop éloigné : 28km avec 1000m de D+, ça fait jusqu’à 4h sans pouvoir faire un break ou refaire son stock d’eau. Pas cool, surtout quand on sait que sur la plupart des ultra-trails en semi-autonomie en France, les ravitaillements ne sont pas espacés de plus de 20km (Mercantour, The Trail, UTCO…). Mais on le sait dès le départ, c’est ainsi que la course est faite et il faut donc respecter cette décision sans doute dûe à des contraintes logistiques importantes et s’organiser en conséquence. À part ça, ces ravitaillements étaient tous fournis, avec du salé et du sucré, mais également des boissons chaudes bien appréciables. Les bénévoles ont tous eu un mot gentil pour les participants et je note que certains sont même restés plusieurs heures dehors par -2°C donc big up à eux. Muchas Gracias.
Autre point extrêmement appréciable et abordé dans l’interview plus haut : le balisage. Tous ceux s’étant déjà perdus bêtement sur une course par manque d’attention, ou manque de savoir vivre d’un organisateur peu scrupuleux, sauront de quoi je parle. La rubalise utilisée est immanquable et placée tous les 50m, souvent à hauteur de la tête. Hormis une petite erreur en repartant au 28ème km – il fallait prendre un petit chemin à gauche et pas continuer tout droit comme un cheval avec œillères, ou un labrador dont les oreilles lui tombent devant les yeux (oui je sais, ça n’existe pas), rien à dire à ce niveau-là sinon : bien joué messieurs les organisateurs.
Le mot de la fin : si vous souhaitez tenter l’aventure en 2018 (et oui, la course a lieu tous les deux ans seulement), gardez bien en tête que cet ultra est très exigeant et vous demandera de courir à 6km/h de moyenne pour faire partie des finishers. Ça a l’air simple comme ça mais croyez moi, c’est la Barkley ce truc ! Le froid n’est finalement pas le plus difficile à gérer. Il limite la soif. En ce qui me concerne, I’ll be back !
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