
On ne me croira jamais et pourtant : j’ai fait du surf dans le Sahara
Hier : petite étape de 30 km où beaucoup de coureurs sont partis fort.
Aujourd’hui, pas de surprise : les conséquences de l’emballement sont bien visibles : les pieds qui partent en vrille, les estomacs qui ne tiennent pas le choc, les esprits qui se calment et les têtes qui prennent un bon gros coup de bambou. Plus ils sont partis forts, à part bien sûr les vrais cadors, plus ils tombent de haut. Bref bref, tout ça était quand même très attendu. Non, vraiment le plus intéressant n’était pas là ce jour.
C’est drôle comme la souffrance donne des idées.
J’ai passé 25-28 km à galérer, à marcher, à crapahuter, à essayer de digérer mon petit déjeuner lyophilisé, à ne pas m’emballer, à ne pas voir tout en noir, à boire, à prendre mes pastilles de sel, à garder les yeux ouverts, concentrés, à accepter de me faire doubler, de me faire beaucoup doubler, à baisser la tête et mettre un pied devant l’autre. Et puis la lumière est comme revenue. La stratégie de la lenteur a fini par payer. Je me suis révélé dans la seule grosse côte de la journée. Ça m’a rappelé la montée vers Champex à l’UTMB pour ceux qui connaissent. Un long parcours du combattant pour certains, un régal pour d’autres.
Et c’est dans la descente, ensablée, que j’ai surfé.
Droit dans le pentu. Droit dans le pentu et à toute berzingue ! Je me suis bien régalé. J’ai volé, j’ai fait de grands virages, j’ai glissé, j’ai bien failli me ramasser aussi. C’est quand tu flirtes avec les limites que c’est bon, non ? Rentré au camp, pervers que je suis, je me suis de nouveau régalé du malheur des autres, ceux qui jouent le « ranking » et le chrono mais dont les corps s’affaiblissent un peu plus chaque jour. J’en parlais plus haut.
J’ai surfé donc. Et j’ai pas mal plané aussi. Allez savoir pourquoi. La chaleur, la fatigue, l’adrénaline sans doute. Je regardais cette étendue de sable et de roche qui s’étendait devant moi aussi loin que se portait mon regard. Et je prenais soudain conscience de tout l’espace inhabité que nous avons sur cette planète. C’est idiot. On s’entasse dans les villes dans des immeubles de 70 étages jusqu’à se bouffer le nez. Les pieds dans le sable, la peau au soleil, je me demandais bien pourquoi.
Ce Sahara me semble simple, d’une pureté folle.
L’intérêt d’une course comme celle-là c’est aussi de nous aider à prendre conscience de notre fragilité, de notre toute petite existence et de la vie qui continuera sans nous, après. L’intérêt d’une course comme celle-là, c’est de comprendre que le présent compte plus que tout, qu’il ne faut pas attendre d’avoir fini cette épreuve pour être soulagé et se sentir exister. L’intérêt d’une course comme celle-là c’est de comprendre que c’est ici et maintenant que ça se passe. Tu souffres des pieds, tu as chaud, tu as des coups de soleil ? Profite. Profite mon gars (ma fille) parce que bientôt tu seras rentré chez toi et tu ne souffriras plus. Tu regarderas la télé et fera le beau (la belle) sur Instagram. Le Sahara, il sera bel et bien derrière toi.
J’ai croisé des petits scarabées dans les dunes aujourd’hui.
J’ai aussi vu un gros lézard très beau, mais mort. Sec comme un vieux saucisson. La vie. La mort. Le temps qui passe. On souffre au Marathon Des Sables vous savez. On se sent exister ! Je ne dirais pas qu’on trompe la mort mais on n’en est pas loin. Le marathon Des Sables, une ordalie ? Oui, sûrement. Demain, ou après demain, tout peut basculer. J’ai revu mon Marines américain unijambiste qui galérait dans les dunes lui aussi. J’ai pensé à sa jeunesse, à sa guerre, à sa justification, à son courage, à sa motivation, à sa détresse aussi. Dans le fond, la vie m’est apparue aussi belle que fragile aujourd’hui. Et puis j’ai aussi vu que malgré mes 3 années passées au Mexique et mes 3 années passées en Inde, je ne connaissais rien. Il y a tant à explorer. L’exploration, c’est la vie. Le voyage, c’est la vie. La nature ? Sa beauté ? Sa fragilité ? Il faut venir dans le Sahara, peut-être, pour que ça saute aux yeux. Mais je suis sûr que les surfeurs et les snowboarders pensent la même chose. La mer, la montagne, les déserts, les forêts. La terre est un formidable terrain de jeu. On l’oublie trop souvent.
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